Si la réforme prévoit de nombreuses mesures pour réajuster les subventions existantes, elle prévoit aussi le versement d'aides directes aux familles les plus démunies. Des experts marocains seront en visite dans plusieurs pays ayant mis en place un système similaire pour déterminer quelle méthode sera utilisée pour sélectionner les familles bénéficiaires «Si d'autres pays qui ne sont pas pourtant des modèles en matière de gouvernance locale ont appliqué et réussi de tels dispositifs, pourquoi le Maroc n'y arriverait-il pas?». Les propos sont d'un représentant du ministère des Affaires économiques, dans une déclaration à la presse la semaine dernière. Voilà qui en dit long sur la volonté mais aussi la confiance de l'équipe en place à mettre sur pied ce fameux système d'aide directe. Cela dit, la grande question, et surtout épineuse question, est de savoir comment faire concrètement sur le terrain pour recenser les familles vraiment nécessiteuses. Sans compter les problèmes de gouvernance et de corruption qu'un tel système risque d'engendrer. C'est justement la raison pour laquelle des missions d'experts marocains se rendent au Chili, au Mexique mais aussi en Indonésie du 8 au 14 juillet prochain. Objectif: voir dans quelle mesure ces pays sont parvenus à contourner ces problématiques, et surtout quelle est l'efficacité réelle des techniques de ciblages adoptées. Car ce qu'il faut savoir, c'est que lorsque l'on met en place des transferts monétaires directs, autrement dit des allocations, plusieurs techniques existent pour déterminer quelles seront les familles bénéficiaires. Les techniques de ciblage Le premier mécanisme, appelé le «test de revenus vérifiés», consiste tout simplement à vérifier, comme son nom l'indique, les revenus, les actifs mais aussi le niveau de consommation de la famille. Seulement, ce système réputé solide coûte cher et reste difficile à mettre en oeuvre. La plupart du temps, ce sont des pays développés, comme les Etats-Unis d'ailleurs, qui peuvent se permettre ce type de système. Le «test des revenus non vérifiés» est une autre alternative, seulement cette fois-ci, le risque est de voir des familles non pauvres profiter de ces aides directes. Mais il faut savoir que le Brésil, qui a connu un important recul de la pauvreté, a porté son choix sur cette méthode. Quant au Maroc, il semble donc s'orienter vers une autre technique appelée «test d'éligibilité multidimensionnel». Il s'agit d'octroyer des transferts monétaires directs sur la base de la combinaison de variables observables, comme les biens durables, la qualité de l'habitation, l'occupation, le niveau d'éducation… Une technique que le ministère des affaires générales et économiques qualifie d' «option viable et prometteuse». Ce système de ciblage est adopté dans des pays comme la Jordanie, le Mexique, le Chili, la Colombie, le Costa Rica… Le premier avantage qu'il présente est qu'il permet aux 20% les plus pauvres de profiter de 35% et 66% des bénéfices. Mieux encore: 65% à 95% des bénéfices vont aux 40% les plus pauvres. Ensuite, le second point fort de ce système, et non des moindres, est que son coût reste relativement moins important que les autres méthodes. Le coût moyen par famille inscrite varierait entre 1,8 dollar et 9 dollars, alors que pour la technique des tests de revenus vérifiés, la technique revient au moins à 25 dollars par famille. Un montant qui peut grimper jusqu'à 86 dollars. Ces coûts concernent les entretiens menés avec les familles, car il faut savoir que pour leur recensement et leur éligibilité, des visites seront organisées pour chacune d'entre elles. Des données qui seraient, si l'on en croit les premières présentations du ministère des Affaires économiques et générales, actualisées tous les deux à trois ans, avec bien entendu une rectification de l'éligibilité. Reste à savoir, maintenant que la réforme semble engagée sur des voies sûres, si la mayonnaise prendra entre autorités nationales et locales (dont l'implication est centrale dans ce processus). Le programme «Oportunidades» au Mexique «Oportunidades n'est pas coûteux, mais le bénéfice net est conséquent» Le Programme Oportunidades au Mexique s'attaque au problème avec un plan financier de «transferts conditionnels d'argent comptant». Des paiements sous forme de bourses d'études et d'aide alimentaire pour les familles pauvres qui envoient leurs enfants à l'école et les emmènent régulièrement dans des centres médicaux. Ce programme, qui a aidé plus de 5 millions de familles en 2005, fournit une somme d'argent croissante à mesure que les enfants entrent dans des classes supérieures, en favorisant légèrement les filles dans la première partie du cursus secondaire. Le principe consiste à compenser les familles pour les revenus que leurs enfants auraient pu gagner à l'extérieur de l'école, tout en offrant aux jeunes une possibilité de sortir, par l'intermédiaire de l'éducation, d'une pauvreté chronique et transmise de génération en génération. Entre 2000 et 2002, les inscriptions dans les écoles secondaires ont augmenté annuellement de 6 %, c'est-à-dire de 2 % de plus qu'avant 2000. Selon ce livre, l'intérêt du programme est mis en valeur par des taux de présence de 8,4 %, un passage à l'école secondaire de 29 % et une augmentation du nombre d'années d'études de 10%. Des études ont démontré que les subventions du programme pour la santé et la nutrition permettaient aussi aux enfants d'aller à l'école plus sains et mieux nourris. Emanuela di Gropello, économiste principal pour les questions de développement de la Banque Mondiale, explique qu'«Oportunidades n'est pas coûteux, mais le bénéfice net est conséquent». Elle affirme que les programmes de transferts d'argent comptant comme Oportunidades peuvent avoir du succès quand leur conditionnalité est bien conçue, comme la présence à l'école, qui est une condition pour recevoir les paiements, ainsi que des systèmes stricts de surveillance et d'évaluation, des critères fiables de ciblage géographique et des familles, et des services de qualité acceptable. Le programme «Chili Solidaire» «Les foyers signent un contrat familial d'amélioration des conditions de vie» L'objectif de ce programme est d'intégrer les familles qui vivent en situation d'extrême pauvreté ou d'indigence au réseau de protection sociale de l'État, se fixant comme objectif de donner une couverture sociale à l'ensemble des 225 000 familles indigentes existant au Chili. Les familles sont sélectionnées à partir des informations fournies par la « fiche CAS-215 ». Cette fiche est un instrument destiné à stratifier socialement les familles qui font une demande d'aides sociales, ce qui permet de donner la priorité et de sélectionner les bénéficiaires des différents programmes sociaux, principalement pour les subsides de l'État. Cette fiche s'applique à tous les résidents du logement où vit la personne qui sollicite le subside. Sa durée de validité est de deux ans et une fois ce délai passé, l'information doit être actualisée. Le système de stratification est basé sur le calcul d'un système de points qui varie entre 350 et 750 points approximativement. L'obtention d'un pointage inférieur est associée à une situation de carence et de besoins majeurs non satisfaits. Pour réaliser le calcul, 13 variables sont utilisées et regroupées en 4 rubriques: logement, éducation, occupation, revenu et patrimoine. Le pointage obtenu est différent pour chacune des familles qui habitent à l'intérieur d'un même logement. Une fois sélectionnées, les familles sont contactées et invitées à participer au programme. Celles qui acceptent l'invitation signent un «contrat familial» d'amélioration de leurs conditions de vie, contrat dans lequel est défini l'engagement pris entre le gouvernement – qui assume la responsabilité de mettre au service de la famille un ensemble d'appuis et de ressources – et la famille, qui, de son côté, s'engage à travailler pour surmonter ces aspects de grande précarité et de besoins tels qu'ils ont été définis. Le tout au moyen des opportunités offertes par le réseau social. Pour pouvoir intervenir, un ensemble de sept paramètres (ou « piliers de vie de la famille ») est pris en compte: identité, santé, éducation, dynamique familiale, aptitudes, travail, revenus. Pour chacun de ces paramètres, 53 conditions minima de qualité de vie ont été identifiées. On estime qu'une famille surmonte sa situation d'indigence quand elle arrive à satisfaire à ces 53 conditions minima.