Les annonces de vaccins efficaces à des taux proches du 100 % contre la Covid-19 a soulevé un immense espoir à travers le monde. Etienne Decroly, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique-France (CNRS), spécialiste des virus émergents et des recherches de thérapies pour les soigner, analyse pour Challenge ces premières annonces. Il estime qu'en dépit de ses résultats prometteurs, les inconnues restent nombreuses. Le virologue français, invite ainsi à la prudence. Challenge : pour l'heure, plusieurs laboratoires affirment avoir mis au point un vaccin anti-Covid avec un certain taux d'efficacité proche de 100%. Que faut-il en retenir ? Etienne Decroly : c'est une bonne nouvelle qu'il y ait plusieurs plateformes de vaccins qui semblent en tout cas protéger sur le court terme contre la Covid-19. Maintenant, je me permets de rappeler que pour pouvoir commenter ce genre de résultats, l'usage dans le monde scientifique, est d'attendre la publication dans laquelle l'ensemble des résultats sont décrits afin de disposer des indications plus précises. Comment a été réalisée l'expérience ? Quel est le niveau de protection qui a été assuré ? Comment a-t-il été calculé ? Pour l'heure, nous manquons encore de ces informations pour pouvoir commenter ces résultats. Actuellement, quatre éléments importants nous manquent particulièrement. Le premier élément concerne la protection. En effet, nous ignorons si les niveaux de protection annoncés par Moderna et Pfizer, qui sont respectivement de 94 % et 90 %, sont des résultats fait jour post vaccination. Or, ce que l'on attend d'un bon vaccin est qu'il protège sur le moyen et long terme. Je ne suis pas en train de critiquer les vaccins. Deuxièmement, nous manquons d'informations sur les tranches d'âges concernées par cette protection surtout quand on sait que pour la Covid-19, les personnes âgées font davantage de maladies graves et sévères que les jeunes. Je rappelle que les vaccins marchent mieux sur les jeunes que sur les personnes âgées. C'est pour vous dire combien il est important d'avoir un vaccin qui soit efficace chez les personnes âgées. Troisièmement, nous n'avons pas, d'une part, l'information sur comment l'immunité va-t-elle évoluer dans le temps ? Autrement dit, est-ce à dire qu'une fois l'immunité obtenue grâce au vaccin signifie que la personne n'est plus infectable. Ou bien, signifie-t-il uniquement que la personne ne développe plus de maladie grave et sévère ? Nous ne disposons pas également d'informations à ce niveau. Enfin, nous savons que les tests des vaccins qui ont été réalisés sur un échantillon de 20.000 personnes n'ont pas montré de faits adverses significatifs sur une courte période. Reste alors à savoir ce qu'il en sera dans 2 ou 3 ans. Tout ça pour vous dire que beaucoup de questions restent en suspens. Il nous faut plus de recul et davantage d'informations pour analyser ces résultats. Toujours est-il que ces informations seront acquises au courant de l'année prochaine. Petit à petit, nous saurons donc quels vont être les meilleurs vaccins de ce point de vue là. Lire aussi|Le français Tecma Global Solutions s'installe à Tanger Med Challenge : que ça soit les américains Pfizer et Moderna ou encore le chinois Sinopharm, chaque laboratoire affirme créer son vaccin suivant une technologie donnée. En quoi consistent ces technologies ? C'est quoi la différence ? E.D : Pfizer et Moderna ont utilisé la même technologie, dite ARN messager. Celle-ci est nouvelle. Dans ce cas là, on n'injecte pas dans l'organisme un antigène qui va être reconnu par son système immunitaire mais plutôt l'ARN messager, c'est-à-dire la molécule qui dit aux cellules ce qu'il faut fabriquer. L'ARN messager du vaccin est transmis aux cellules pour faire fabriquer un antigène spécifique. Ce dernier sera ensuite détecté par le système immunitaire qui va produire des anticorps. Quant à la technologie utilisée par Sinopharm, elle est conventionnelle. Cette technologie est basée sur l'injection dans l'organisme d'un virus inactivé. En fait, on produit des particules virales qu'on purifie afin qu'elles ne soient plus infectieuses et auxquelles on associe des adjuvants qui vont augmenter l'immunogénicité du vaccin. La différence majeure avec la technologie utilisée par Pfizer et Moderna, est que là, on présente le vrai virus. C'est dire qu'on cherche à avoir dans ce cas l'immunité contre les différentes protéines du virus. C'est une technique qui avait été utilisée contre la polio dans les années 1980. Challenge : le Maroc s'apprête à lancer une campagne de vaccination avec le vaccin qui sera réalisé par le chinois Sinopharm. Qu'en pensez-vous ? E.D : je n'ai pas vu les résultats de la troisième phase des essais de Sinopharm pour avoir, ne serait-ce qu'une première idée, sur l'efficacité du vaccin. Lire aussi|Impôts : les aviculteurs soulagés