Les traditions se perdent, et on ne fête plus Aïd Al Adha. Au lieu de quoi, on préfère les vacances, et la réunion de famille autour de Boua Sidi et Moui Lalla semble passée de mode. Retour sur un phénomène de société. L'Aïd Al Adha est passé, pendant un mois, le Maroc était en effervescence. Les activités commerciales étaient dopées. C'est la période faste pour l'électroménager et les crédits consommation explosent. D'ailleurs, il suffit de se promener dans les rues des grandes villes du Maroc pour constater les offres fleurir sur les panneaux publicitaires. Le secteur touristique n'est pas en reste: les hôtels proposent des remises, et les avionneurs des billets à prix sacrifiés. Le mouvement n'est certes pas nouveau, mais de plus en plus de marocains préfèrent profiter de la période de l'Aïd Al Adha pour passer des vacances en bord de mer, voire en Espagne. Pour Tahar, Marrakchi, cela relèverait d'une européanisation des mentalités: “le sacrifice est une sunna à laquelle il faut se plier. Certains veulent s'épargner la vue du sang, d'autres ont des problèmes logistiques. Autant de raisons insuffisantes. Il faut égorger le mouton." Cet avis tranché, est courant, particulièrement dans le Sud du pays, où c'est d'abord l'occasion des retrouvailles familiales. Pour Karima, de Ouarzazate, les marocains du Sud parcourent de longues distances pour se retrouver. Mais qu'en est-il des marocains qui ne fêteront pas l'Aïd cette année? La vie urbaine et ses contraintes Pour Mehdi, 30 ans, cadre supérieur, les choses sont claires: “je réfléchis à partir en vacances. Cette fête, comme Noël ou la Saint-Valentin a perdu son charme. Elle est devenue, essentiellement, une foire mercantile." Pour Noureddine les choses sont moins contrastées: “pour moi, la fête du mouton était l'occasion de retrouver ma famille au grand complet. Depuis la disparition de mes grands parents, nous ne fêtons plus l'Aïd. C'était une occasion festive et unique où on se retrouvait avec des cousins qu'on voit rarement. L'aspect religieux était même relégué au second plan." Hayat, 40 ans, marketicienne, assume parfaitement ses positions : “en 17 ans de mariage je n'ai jamais fêté l'Aïd chez moi. Ce n'est ni un problème de logistique, ni de moyens matériels, et j'ai toute la place nécessaire pour l'évènement. Mais j'estime que c'est une tradition dépassée. Mais je reste dans l'esprit de charité et je donne mon mouton à mon aide ménagère. Quant à moi et ma famille, nous partons en vacances. Les rares fois où l'on a fêté l'Aïd, c'était chez ma belle mère. C'était principalement pour que mes enfants en gardent le souvenir. Mais maintenant, tous préfèrent jouer dans un club de vacances." Une sunna qu'on ne suit plus “Historiquement, l'Aïd était l'occasion où les Marocains les moins aisés pouvaient manger de la viande à satiété. Aujourd'hui, on peut manger de la viande toute l'année. Ce n'est donc plus nécessaire," explique Rachid, 30 ans, cadre. Mais ne pas perpétuer la tradition n'est pas pour autant un manque d'attachement à la religion: “une sunna, c'est une sunna. Je veux bien perpétuer la tradition, mais pas à n'importe quel prix. Je préfère faire du bien à mon prochain et éviter le dérangement à ma femme". Il est évident qu'il en est tout autrement pour ceux qui habitent dans un quartier populaire, où la pression sociale est forte. Au final, fêter l'Aïd Al Adha est une pratique qui se perd, surtout dans les classes plus aisées, et traduit probablement un recul du fait religieux. Cela étant, bonnes ou mauvaises, les raisons pour ne pas sacrifier le mouton sont nombreuses. Mais à ne pas en douter, elles marquent un “schisme" entre les Marocains “d'en haut" et ceux “d'en bas". Pour le meilleur et pour le pire ! 7,5 millions de têtes C'est le nombre de moutons abattus pour l'Aïd Al Adha en 2012.