Les relations entre Paris et Alger connaissent un nouvel accès de fièvre, symptôme récurrent d'une relation bilatérale tourmentée, marquée régulièrement par de fortes turbulences. Le dernier épisode en date a été déclenché par la reconnaissance par le président Emmanuel Macron, en juillet 2024, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, prenant ainsi clairement position et mettant fin à une attitude qui n'était plus tenable. Alors qu'il prétend ne pas être partie au différend sur le Sahara, le pouvoir algérien a réagi sans tarder par une mesure extrême, le «retrait» de l'ambassadeur d'Algérie à Paris, suivi aussitôt d'une campagne de presse d'une rare virulence dénonçant un geste perçu comme dirigé contre l'Algérie. Dans les semaines qui ont suivi, une série d'incidents a alourdi l'atmosphère délétère. Ce fut d'abord l'arrestation de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, sur fond de vagues accusations de «collusion avec des pays étrangers», et qui a alimenté l'indignation en France, tandis que la vague d'arrestations d'«influenceurs» algériens qui ont appelé à des actes de violence contre des activistes algériens installés en France a mis à nu les agissements d'individus utilisés ou manipulés par les services algériens. En outre, les autorités algériennes ont refusé d'accueillir un de leurs ressortissants expulsé du territoire français, au motif qu'il devait rester en France pour y défendre ses droits, provoquant une réprobation générale en France contre une attitude qui a été qualifiée de défi au droit international. L'attentat de Mulhouse, perpétré par un Franco-Algérien fiché pour radicalisation et qu'Alger a refusé à plusieurs reprises de recevoir a été pour la France l'humiliation de trop, la goutte qui a fait déborder le vase. Face à l'attitude algérienne de défi, Paris a répondu graduellement en restreignant l'entrée sur son territoire de «dignitaires» algériens et en brandissant la menace de dénonciation de l'accord de 1968, qui encadre dans un régime exorbitant du droit commun le séjour, le regroupement familial et l'accès au marché du travail des Algériens en France. La réduction drastique des visas, déjà annoncée en 2021, est de nouveau sur la table, tout comme l'ouverture d'enquêtes sur les biens immobiliers de hauts responsables algériens en France, soupçonnés d'être le résultat de détournements de fonds publics. Rapports de force Les moyens de pression dont disposent les deux camps sont asymétriques et ceux de la France sont redoutables. Malgré son relatif recul en Afrique, Paris conserve un puissant levier migratoire et une capacité d'influence sur les élites algériennes, qui disposent souvent d'actifs et de familles établies sur son territoire. Elle reste également un partenaire économique majeur dans plusieurs secteurs. De son côté, Alger ne peut miser que sur ses ressources énergétiques, dans le contexte de la crise gazière européenne. La communauté algérienne en France pourrait servir de relais à la propagande du gouvernement algérien et à ses ingérences dans la politique intérieure française. L'Algérie pourrait jouer aussi la carte migratoire en ouvrant les vannes des flux illégaux vers l'Europe ou bien créer de nouvelles difficultés aux investissements français en Algérie, voire les bloquer. Enfin, comme elle l'a fait avec l'Espagne, l'Algérie pourrait décréter un arrêt des importations des produits français. Des instructions seront données à la presse pour intensifier la campagne de dénigrement contre «l'extrême droite française revancharde et haineuse» en recourant aux recettes habituelles : victimisation, martyrologie, syndrome des complots et de l'encerclement. Isolement Toutefois, Alger est dans une position plus fragile que ne le laissent penser ses fanfaronnades. Sa confrontation avec Madrid en 2022, à la suite du revirement de l'Espagne sur le Sahara marocain, s'est soldée par un échec total et un rétropédalage en règle. Le régime algérien est désespérément seul et sans alliés. Aucun pays, même parmi le petit groupe d'amis périphériques qui lui reste (Afrique du Sud, Cuba, Iran, Venezuela, Zimbabwe) n'a exprimé la moindre réprobation de l'attitude française. Personne n'a assuré Alger de sa sympathie ou sa solidarité. La France, de son côté, peut compter sur un alignement majoritaire de l'Union européenne (UE) sur sa position pro marocaine. Paris peut à tout moment mobiliser ses amis et ses alliés et mettre Alger en accusation devant les instances internationales de défense des droits de l'homme. En outre, la France pourrait utiliser son influence à Bruxelles pour peser sur la renégociation de l'accord d'association entre l'Algérie et l'UE, qui doit être révisé dans les prochains mois. En agissant sur les leviers dont il dispose, Paris affaiblirait le pouvoir algérien et le mettrait en grandes difficultés. Pour l'instant, le gouvernement français s'est donné quatre à six semaines pour «réexaminer la totalité des accords et la manière dont ils sont exécutés» par le gouvernement algérien. Une «liste d'urgence» de personnes qui doivent retourner en Algérie sera présentée aux autorités algériennes. En cas de refus de l'Algérie d'accepter ces personnes, le gouvernement français considérerait que «les avantages particuliers qui sont consentis» aux Algériens par l'accord de 1968 devraient être remis en cause. En dernier recours, la dénonciation de l'accord serait inévitable a indiqué le Premier ministre Bayrou, aussitôt désavoué par le président français. Surenchère «Dans la montée en cadence de l'escalade et des tensions que la partie française a imprimées à la relation entre l'Algérie et la France, l'Algérie n'a pris l'initiative d'aucune rupture», affirme le gouvernement algérien, feignant d'oublier le retrait de son ambassadeur à Paris et la campagne anti-française de ses médias. Le gouvernement algérien a fait savoir qu'il n'entendait pas céder à ce qu'il considère comme «les ultimatums et les menaces» français et qu'il «appliquera une réciprocité stricte et immédiate à toutes les restrictions apportées aux mobilités entre l'Algérie et la France». Quelle réciprocité Alger pourrait mettre en œuvre en matière de visas ? On peut se demander, avec un diplomate français qui connaît bien l'Algérie pour y avoir longtemps exercé, combien de Français se rendent en Algérie à des fins touristiques. Ou pour se soigner, ajoute un activiste algérien. L'attitude algérienne bravache, qui oscille entre défiance apparente et posture belliqueuse, pose question : s'agit-il d'une forme d'inconscience politique, d'une stratégie d'escalade destinée à galvaniser l'opinion publique interne, ou d'une réelle volonté d'entrer dans la confrontation avec la France ? Cette rhétorique de fermeté pourrait toutefois masquer une faiblesse structurelle : le régime algérien tente de cacher son isolement diplomatique par des postures martiales et des menaces, comme il a pris l'habitude de le faire avec d'autres pays, notamment avec le Maroc. Le gouvernement algérien affirme que «le droit français, les conventions bilatérales, le droit européen et le droit international sont tous du côté de l'Algérie», mais le droit ne lui sera d'aucun secours si son comportement d'Etat irrespectueux du droit international, des usages et des convenances est pointé du doigt. L'exploitation du passé colonial pour alimenter le discours nationaliste et la défiance envers la France, «ennemi historique», sont devenus des outils de gouvernement. Cette instrumentalisation permet au pouvoir algérien de détourner l'attention des difficultés économiques, du chômage élevé et des revendications démocratiques internes, tout en resserrant les rangs autour de la figure d'une Algérie ciblée et assiégée. En exacerbant les tensions avec la France, non pour défendre les intérêts nationaux de l'Algérie et de son peuple, mais pour essayer de tordre le bras à Paris à propos du Sahara marocain, Alger s'aventure dans une fuite en avant éperdue potentiellement dangereuse.