Les propositions présentées par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) pour le projet de loi de finances 2025 manquent de vision stratégique à long-terme et révèlent une approche trop réductrice face aux défis actuels et trop permissive pour les grandes entreprises. La montagne a accouché d'une souris : les mesures proposées par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dans le cadre du projet de loi de finances 2025 sont un exercice cosmétique qui omet les réalités actuelles de l'économie marocaine. Alors que le patronat propose une baisse de l'impôt sur le revenu (IR) pour atteindre 35% d'ici 2027 comme une mesure de stimulation économique, il semble faire abstraction sur ses limites. Une réduction de l'IR sans compensation équivalente dans les recettes fiscales risque de creuser le déficit budgétaire. En 2023, le déficit budgétaire se situait à environ 5,3 % du PIB. Si le gouvernement poursuit une telle politique sans élargir sa base fiscale, il risque d'accentuer sa dépendance aux emprunts internationaux, ce qui lui reproche l'opposition dans ses interventions publiques. En outre, cette réduction ne bénéficiera pas nécessairement aux classes les plus modestes. Le Maroc a une structure fiscale où l'IR est principalement supporté par la classe moyenne, qui est déjà fragile selon les derniers chiffres du HCP. Un tel allègement pourrait augmenter les inégalités économiques, déjà criardes, si d'autres formes de taxation (comme la TVA, qui est régressive) ne sont pas revues en parallèle. De plus, l'augmentation du plafond d'exonération des indemnités de licenciement à 2 millions de dirhams est une mesure qui profite principalement aux cadres supérieurs et ne concerne qu'une minorité de la population active. L'Excédent brut d'exploitation (EBE), léger comme une plume L'EBE est un indicateur utile pour mesurer la performance opérationnelle d'une entreprise, mais il est sensible aux variations conjoncturelles et ne reflète pas toujours la capacité réelle d'une entreprise à payer ses impôts. En effet, des entreprises fortement endettées pourraient avoir un EBE négatif tout en restant bénéficiaires après prise en compte des charges financières, ce qui pourrait les exonérer de manière injustifiée de la taxe professionnelle. De plus, une telle réforme pourrait favoriser les grandes entreprises possédant un levier financier important au détriment des PME. La CGEM, en revanche, aurait pu proposer une réforme plus juste en établissant l'assiette fiscale sur une combinaison de plusieurs indicateurs financiers, afin de mieux refléter la diversité des secteurs et des structures d'entreprises. En 2021, les PME représentaient 95 % du tissu économique marocain, mais elles sont souvent les plus vulnérables face à des réformes fiscales mal calibrées. Taxation verte et carbone : sans coup de poing Si sur le principe, elle est louable dans la forme proposée, dans le fond elle manque absolument d'ambition. La taxation carbone limitée à cinq secteurs en phase de test donne l'impression que le Maroc, pourtant agissant, n'a pas encore pris conscience de l'urgence climatique. En comparaison, l'Union européenne, partenaire stratégique du royaume, a déjà mis en place un SEQE qui couvre plusieurs secteurs industriels depuis plus de quinze ans. Limiter l'expérimentation à cinq secteurs ne permettra pas d'en tirer des conclusions clairement représentatives, surtout dans un contexte où le Maroc s'est engagé à réduire de 45,5 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. De plus, la proposition semble plus focalisée sur la réduction des coûts fiscaux pour les entreprises que sur l'environnement. En n'augmentant pas les taxes globales pour les entreprises polluantes et en les substituant à d'autres taxes (comme la TIC), cette mesure pourrait être perçue comme une simple manœuvre pour éviter une véritable transition écologique. Neutralité fiscale des restructurations des groupes : le contrecoup est réel Pour la CGEM, cette mesure vise à favoriser la réorganisation des groupes, mais elle présente un risque réel d'infractions fiscales. En permettant aux entreprises d'apporter des actifs à leur valeur comptable, il existe une occasion de sous-évaluation des actifs, ce qui peut réduire artificiellement les impôts à payer. Une telle pratique pourrait encourager les entreprises peu éthiques à manipuler leur comptabilité pour réduire leur charge fiscale. Une étude de l'OCDE a montré que les multinationales utilisent souvent ces mécanismes pour réduire leur imposition, ce qui pourrait aggraver l'érosion de la base fiscale du Maroc. Quant à IS, TVA et douanes, si la simplification administrative est toujours saluée, certaines de ces propositions favorisent clairement les grandes entreprises. L'augmentation du seuil de déductibilité des véhicules de tourisme est un exemple frappant. Une telle mesure profitera principalement aux grandes entreprises qui achètent des véhicules haut de gamme pour leurs cadres, plutôt qu'aux PME. Dans un contexte où le Maroc s'efforce de promouvoir une fiscalité plus équitable, cette mesure apparaît comme une concession inutile aux intérêts du patronat. La révision du champ d'application de la TVA sans détail précis soulève des questions sur l'impact potentiel pour les consommateurs. La TVA représente environ 30% des recettes fiscales du Maroc, mais elle est notoirement régressive. Toute modification qui augmenterait son champ d'application risquerait de pénaliser encore davantage les ménages les plus modestes. Développement des start-up La mesure proposée par le CGEM pourrait être positive pour encourager l'innovation, mais elle demeure largement symbolique. La création d'un véritable écosystème favorable aux start-up nécessite plus que des encouragements fiscaux. D'autres pays ont démontré que l'accompagnement technologique, l'accès au financement, et des infrastructures de recherche et développement (R&D) solides sont des éléments cruciaux. Le Maroc consacre seulement 0,8% de son PIB à la R&D, loin des 2-3% observés dans les pays développés, ce qui montre que des réformes plus profondes sont nécessaires. Si les propositions de la CGEM sont en grande partie destinées à alléger la fiscalité pour les entreprises, en particulier les grandes, sans véritable contrepartie en termes d'équité sociale ou de retombée environnementale. Elles reflètent une vision à court-terme qui met en avant la compétitivité des entreprises sur des considérations de justice fiscale, d'inclusion économique et de durabilité. Dans un contexte où le Maroc doit faire face à des défis majeurs, tels que le chômage, les inégalités croissantes et la transition écologique, ces mesures semblent largement insuffisantes. Le gouvernement, lui, cherche à élargir la base fiscale et à aligner ses politiques économiques avec ses engagements climatiques, sans démontrer une volonté sérieuse pour cela.