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Rouvrir le débat de la gestion locale
Publié dans Barlamane le 10 - 07 - 2023

La multiplication des poursuites d'élus locaux, la gestion peu performante de maires cumulards ainsi que les nombreux cas de manquement à l'éthique publique incitent à dresser à mi-mandat un bilan de la gestion locale, et à entreprendre les réformes nécessaires bien en amont de la cohue incapacitante du moment électoral.
L'engorgement des tribunaux par des affaires de mauvaise gestion offre une triste image de l'action locale: corruption, conflits d'intérêts et scandales de trafic d'influence saturent l'actualité estivale.
Les dénominateurs communs de ces affaires devraient motiverune consolidation de l'arsenal législatif lié à la conduite des affaires locales.
Instaurer des déclarations d'intérêt
En vertu de la loi, les présidents et les bureaux des conseils régionaux, communaux, préfectoraux et provinciaux; les présidents de groupements des communes urbaines et rurales; les présidents de groupements de collectivités locales; et enfin les présidents des conseils d'arrondissement, ainsi que les membre des conseils ayant reçu délégation de signature ou de pouvoir sont tenues de déclarer l'ensemble des activités professionnelles et des mandats électifs qu'ils exercent, les revenus perçus l'année précédente, de même que leurs participations financières, dans un délai de trois mois suivant leur élection.
À l'heure où de nombreux pays ont renforcé le contrôle des élus en introduisant des déclarations d'intérêts, la déclaration du patrimoine figurant à la loi n°54-06 de 2008 s'avère bien insuffisante — même quand certains éléments constitutifs des déclarations d'intérêts y figureraient.
En recensant les activités, les fonctions, les mandats et les participations des déclarants et de leur famille proche, dans l'optique de disposer d'une cartographie des liens d'intérêts existants, ou ayant existé, la déclaration d'intérêts fait partie des outils majeurs de prévention des conflits d'intérêts.
En France à titre d'exemple, la déclaration d'intérêts porte notamment sur les activités professionnelles exercées durant les cinq dernières années, les activités professionnelles du conjoint, les fonctions bénévoles, les participations aux organes dirigeants de structures publiques ou privées, les fonctions et mandats électifs, ainsi que les participations financières (article 11 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique).
Au Royaume-Uni, les élus locaux doivent déclarer tout un ensemble d'intérêts (28.2 du Localism Act 2011 et DisclosablePecuniary Interests Regulations 2012). Les intérêts à déclarer sont spécifiés dans les codes de conduite établis par les autorités locales sur la base d'une liste nationale (The Relevant Authorities Disclosable Pecuniary InterestsRegulations 2012, Schedule), qui comprend notamment:
– Les emplois, charges, métiers ou professions exercées.
– Les sponsorships: soit tout paiement ou octroi d'un bénéfice financier à l'élu dans l'exercice de ses fonctions, ou pour ses dépenses électorales.
– Les contrats: tout contrat conclu entre l'élu ou un organisme dans lequel l'élu a un intérêt, et l'autorité locale, en vertu duquel des biens, des services ou des travaux doivent être fournis ou exécutés.
– Les terrains: tout intérêt dans un terrain qui se trouve sur le territoire de l'autorité locale.
– Les licences: toute licence (dont l'élu bénéficie seul ou conjointement avec d'autres) d'occupation d'un terrain dans le territoire de l'autorité locale, pendant un mois ou plus.
– Les locations d'entreprise: toute location de bien immobilier dont le propriétaire est l'autorité locale, et dont le locataire est un organisme dans lequel l'élu a un intérêt.
– Les actions: tout intérêt dans des actions d'un organisme qui détient un établissement ou un terrain sur le territoire de l'autorité locale, ou dans lequel l'élu détient des partsd'une valeur dépassant 25 000 livres (313 000 dirhams), ou un centième du capital social total de cet organisme.
La déclaration d'intérêts gagnerait à être instituée au Maroc. Ils'agirait d'y inclure, outre les activités professionnelles, les mandats électifs, les revenus perçus et les participations financières, d'autres catégories comme les fonctions bénévoles étant donné qu'elles sont déjà couvertes par la loi, sans que des mécanismes de contrôle n'existent: les textes relatifs aux régions et aux communes (111-14 et 113-14) interdisent aux membres des conseils d'entretenir des intérêts privés avec la collectivité territoriale ou d'exercer toute activité pouvant conduire à un conflit d'intérêts, notamment à travers les contrats de partenariat et de financement des projets des associations dont il sont membres (art. 65 de la loi organique n°113-14 et art. 68 de la loi organique n°111-14). En France, la Cour de cassation avait, dans un arrêt de la chambre criminelle du 19 mai 1999, jugé que la participation d'un élu à une décision d'octroi de subventions à une association était couverte par la notion de « surveillance » du délit de la prise illégale d'intérêts (pourvoi n°98-80.726).
Les collectivités territoriales devraient par ailleurs être appelées à se doter de chartes éthiques. Pour l'élaboration de celles-ci, il pourrait être de bon ton de s'inspirer de l'autonomie accordée aux conseils élus en Espagne, en Allemagne, et tout particulièrement au Royaume-Uni: le législateur établirait dans ce cas un modèle contenant certaines catégories obligatoires, ainsi qu'un délai d'élaboration des textes, et laisserait les élus locaux s'approprier le chantier. Il leur appartiendrait alors de compléter le régime déclaratif de base avec de nouvelles obligations, des catégories d'intérêts différentes à déclarer, etc. La démarche pourrait permettre d'aboutir à des textes qui auraient généré un débat au sein des conseils et qui auraient cristallisé un consensus, au lieu d'une législation imposée « par le haut ». Elle permettrait aussi une assimilation positive des principes éthiques et déontologiques devant guider la conduite des élus, dans la mesure où ils seraient co-élaborés par les élus eux-mêmes ou avec leur participation active, plutôt qu'il ne s'agirait de mécanismes extérieurs.
Inclure les conjoints
La déclaration d'intérêts bénéficierait également de l'inclusion des biens, des revenus et des activités professionnelles du conjoint et des membres de la famille proche. En l'état actuel des choses, la déclaration des biens et des revenus du conjoint ne peut être requise qu'en cas de déclaration incomplète ou non-conforme, suite à laquelle le président de la cour régionale des comptes communique à l'élu défaillant le rapport du conseiller rapporteur chargé de l'examen de sa déclaration et lui fixe un délai de soixante jours pour répondre aux observations de ce dernier (7è alinéa de l'art. 1 et de la loi n°54-06).
La formulation retenue ne peut manquer d'interroger, vu qu'elle situe la déclaration des revenus du conjoint à l'aboutissement d'une procédure en plusieurs séquences: le président de la cour régionale des comptes ne peut spontanément demander la déclaration des revenus du conjoint, mais seulement lorsque la déclaration de l'élu s'avère incomplète ou non-conforme. Ici, la loi présente des imperfections rédactionnelles affectant la lisibilité du droit et les possibilités de son application.
Le champ des crimes et des délits financiers que peut raisonnablement faire ressortir une déclaration des revenus et du patrimoine se limite à la corruption sous certaines formes et variantes, le délit d'initié, les détournements de fonds, l'abus de bien sociaux, le blanchiment des capitaux ainsi que d'autres infractions financières manifestes. Quant au délit de prise illégale d'intérêts, pivot du dispositif de répression des conflits d'intérêts en France, défini comme le fait de prendre ou de recevoir quelque intérêt dans les actes, adjudications, entreprises ou régies dont on a, au temps de l'acte, en tout ou en partie, l'administration ou la surveillance, il ne concerne au Maroc que les fonctionnaires publics (art. 245 du code pénal marocain) — une catégorie indéterminée, comme on le verra.
En France, le délit de prise illégale d'intérêts s'applique à toute personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, et toute personne investie d'un mandat électif public (article 432-12 du code pénal français).
Même si sont réputés fonctionnaires publics, pour l'application de la loi pénale marocaine, toutes personnes qui, sous une dénomination et dans une mesure quelconques, « sont investies d'une fonction ou d'un mandat même temporaires, rémunérés ou gratuits et concourent à ce titre, au service de l'Etat, des administrations publiques, des municipalités, des établissements publics ou à un service d'intérêt public » (art. 224 du code pénal marocain), le flou persiste, d'autant que dans de nombreux articles du code pénal, d'autres catégories sont expressément mentionnées en plus de celle des fonctionnaires publics lorsque des dispositions les concernent: magistrats, agents de la force publique, préposés de l'autorité publique, individus investis d'un mandat électif, etc. Ces occurrences brouillent la lecture de la loi: lorsque plusieurs catégories pouvant relever de celle des « fonctionnaires publics », si prise dans son sens large, sont simultanément énoncées à côté de cette dernière, s'agit-il alors d'une simple segmentation de la catégorie-mère en différentes fonctions qu'elle contiendrait, comme pourraient le laisser penser certaines dispositions du code pénal (« les fonctionnaires publics, les agents de la force publique, les préposés de l'autorité publique, chargés de la police administrative ou judiciaire » (A, a', a", etc. ?) — art. 227 du code pénal marocain) ou plutôt de catégories ne relevant pas de celle des fonctionnaires publics stricto sensu, comme pourrait en témoigner l'usage d'une conjonction de coordination disjonctive (« ou ») entre les différentes catégories, ce qui induit une idée de séparation et de choix (« magistrat, fonctionnaire public ou étant investi d'un mandat électif » (a, b ou c ?) — art. 248 du code pénal marocain), le « ou » remplissant ici la même fonction que la conjonction « soit », qui marque l'alternative ? Cette impression est d'ailleurs renforcée par l'absence de la prise illégale d'intérêts de la liste des crimes et des délits pénalement sanctionnés auxquels sont susceptibles de s'exposer les élus qui entretiennent des intérêts privés avec la collectivité territoriale (art. 65 de la loi organique n°113-14 et art. 68 de la loi organique n°111-14): ne sont mentionnés que le délit d'initié, le trafic d'influence ou de privilèges et les infractions d'ordre financier portant préjudice aux intérêts de la collectivité territoriale.
Pour l'OCDE également, « il n'est pas certain que la définition de 'fonctionnaire public' prévue à l'article 224 du Code pénal soit totalement conforme aux standards internationaux [...]. La définition d'agent public doit inclure toute personne qui détient un mandat législatif, exécutif, administratif ou judiciaire; nommée ou élue; quel que soit son niveau hiérarchique».
Le flou gagnerait à être levé à travers une meilleure clarification des catégories et du périmètre d'application de la loi. En l'état, la loi pénale marocaine permet des lectures divergentes, et peut inviter à une définition plutôt étroite de la catégorie des fonctionnaires publics.
Permettre le déport
Dans l'ensemble, les dispositions portant sur les obligations déclaratives des élus locaux mobilisent une compréhension et un mode de traitement essentiellement punitif, en prévoyant des sanctions en aval, mais un faible traitement de l'amont, le préventif. Elles semblent construites autour d'une visée de détection de la corruption et de l'enrichissement sans juste cause, pour peu qu'ils surviennent — ou soient détectables — sans se doter de mécanismes préventifs forts.
L'objectif de la plupart des législations portant sur la lutte contre la corruption et les conflits d'intérêts consiste, de nos jours, à en prévenir la matérialisation. En intégrant suffisamment d'informations, les déclarations d'intérêts permettent une meilleure analyse et de meilleures procédures de vérification des liens dont elles font mention, afin de s'assurer qu'aucun d'entre eux ne soit de nature à faire naître des situations portant atteinte à l'intégrité de la décision publique.
L'un des principaux bénéfices de l'introduction des déclarations d'intérêt est de rendre possible le déport, qui consiste à ne pas prendre, préparer ou donner un avis sur une décision ou un jugement qui relève en temps normal des attributions de la personne concernée, afin d'éviter de se trouver en situation de conflit d'intérêts. Une fois la question conflictuelle identifiée — notamment à travers la déclaration d'intérêts — l'avis, la décision ou le jugement portant sur celle-ci est délégué à une autre personne, qui ne doit recevoir aucune instruction de la première. La personne récusée doit, selon les cas, s'abstenir de participer à toute réunion, travail préparatoire, vote ou délibération touchant la question conflictuelle.
Au Maroc, à l'exception de la législation sur les marchés publics, qui impose aux élus de ne pas intervenir directement ou indirectement dès lors qu'ils ont un intérêt dans un marché public, soit directement, soit par personne interposée (article 168 du décret n°2-12-349 relatif aux marchés publics), aucune autre loi n'en fait mention.
En France, les élus locaux ont une obligation de déport lors du vote d'une délibération à laquelle ils sont intéressés, soit à titre personnel, soit comme mandataire (article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales et article 2 de la loi n°2013-907 relative à la transparence de la vie publique). Ils ont aussi l'obligation de de se retirer des travaux préparatoires d'un vote, d'une décision ou d'une procédure de passation de marché (Conseil d'Etat, décision n°334726). La législation française interdit aux élus locaux d'entretenir des intérêts privés avec leur collectivité territoriale, à l'exception de certains types d'actes privés autorisés dans les communes de moins de 3 500 habitants. Dans celles-ci, le maire, ses adjoints ou les conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent traiter avec la commune où ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel. Ils peuvent également acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle, ou un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle, ou encore conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement. Ces actes ne peuvent être autorisés qu'après estimation du prix des biens concernés par le service des domaines et délibération motivée du conseil municipal, quelle que soit la valeur des biens concernés.
Le maire, l'adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat. Dans une optique de transparence, la séance d'adoption doit être publique, et le conseil municipal ne peut se réunir à huis clos (article 432-12 du code pénal français).
En Espagne, les lois locales prévoient elles aussi des obligations de déport. Au Pays Basque à titre d'exemple, les élus doivent s'abstenir d'intervenir dans les matières, décisions ou initiatives touchant leurs intérêts privés, les intérêts de leur conjoint ou partenaire, et ceux de leurs parents au quatrième degré de consanguinité ou d'affinité, ou encore ceux des tiers avec qui ils entretiennent des intérêts privés.
De même, ils ne peuvent participer aux décisions touchant les intérêts des entreprises, sociétés ou entités avec lesquelles ils ont travaillé cours des deux années précédant leur mandat, ou dans lesquelles exerce leur conjoint, partenaire, ou leurs proches au deuxième degré d'affinité ou de consanguinité, ou des tiers avec lesquels ils ont des intérêts communs (article 10 de la loi 1/2014 réglementant la conduite et les conflits d'intérêts dans les fonctions publiques du Pays Basque). En Navarre, les membres du gouvernement local sont tenus de s'abstenir de toute participation à la délibération ou à la prise de décision, si les questions examinées portent sur un domaine touchant les intérêts des sociétés dans lesquelles eux, leur conjoint ou partenaire ou un parent au quatrième degré exerce ou a exercé (article 3.3 de la loi forale 19/96 sur les incompatibilités du gouvernement de Navarre).
Au Royaume-Uni, les membres des autorités locales doivent déclarer tout intérêt privé se rapportant à une question examinée lors d'une réunion. Ils ne peuvent, le cas échéant, participer au débat, à la délibération ou au vote sur ladite question (§31 du Localism Act 2011), et peuvent être tenus de quitter la salle (§31.10 du Localism Act), sauf si l'autorité locale en décide autrement, sur la base de l'intensité de l'intérêt en question: s'il s'agit d'un prejudicial interest, soit un intérêt privé pouvant porter préjudice à l'intérêt général et/ou susceptible d'affecter l'impartialité de l'élu, son libre arbitre et sa capacité à examiner la question de manière équilibrée et objective, les restrictions précitées s'appliquent. Si l'intérêt privé ne remplit pas un certain nombre de critères, l'élu peut participer aux délibérations ou au vote.
De façon globale, le déport doit porter sur un champ plus ou moins précis et détaillé d'intérêts, combiner impératifs de transparence, de responsabilité et de bonne conduite face à de multiples intérêts conflictuels, sans se départir d'une certaine souplesse — qui peut, dans certains cas, réfréner les ambitions d'un traitement général des conflits d'intérêts par l'exclusion systématique des « conflictés », et entraîner des dérogations au cas par cas, l'abstention ou la mise à l'écart de certains élus du processus décisionnel n'étant pas toujours possible, ni forcément bénéfique à la conduite des affaires publiques. Et ce, d'autant que le déport peut être employé dans une visée d'évitement de la responsabilité (en cas de désaccord, ou si l'élu ne souhaite pas endosser une décision pour son coût politique, etc.) et s'avérer dans ce cas préjudiciable au bon déroulement du travail local ainsi qu'à la discipline qu'il requiert en certaines occasions.
L'épineux problème du cumul
Le cumul d'un mandat national et d'un mandat exécutif local est souvent associé à des pratiques négatives: absentéisme, manque de dévouement, niveau insatisfaisant de consécration à certaines des tâches pour lesquelles l'élu a été désigné, « mélange des genres » et conflits d'intérêts, accumulation et monopolisation des positions électives, et donc des ressources auxquelles elles donnent accès, etc.
Du côté des cumulants, on lui prête des vertus positives: plus grande facilité d'accès aux circuits décisionnels centraux, meilleure capacité à porter et à faire aboutir les dossiers et à articuler les échelons local et central, acquisition d'une expertise plus conséquente que celle des non-cumulants, etc.
Souvent hâtivement perçu comme potentiellement porteur de conflit entre deux intérêts public/public qui, tous deux contenus dans la sphère de l'intérêt général, ne lui sont intrinsèquement pas nocifs, le cumul pose en réalité plusieurs problèmes: d'une part, le service d'un ou de plusieurs intérêts publics peut bien favoriser, ou offrir un paravent à une variété d'intérêts privés. D'autre part, chaque catégorie d'élus est choisie pour se prononcer, représenter et défendre une catégorie spécifique d'intérêts (local, national, etc.) parfois conflictuels; dans une situation de la sorte, l'élu cumulant deux mandats ne peut que manquer à l'une des missions potentiellement contradictoires pour lesquelles il a été élu (1).
Le cumul vertical des mandats y est particulièrement permissif en facilitant, par exemple, un transfert de ressources ou d'attention publique vers le territoire électif: le maire-député peut orienter l'initiative publique, ou l'influencer de façon indue dans l'objectif de capter des ressources pour sa collectivité. Le député-maire peut corréler réalisations locales et mandat parlementaire, et agir comme « député de services», soit un député permettant « l'accès des populations à la manne nationale » (2), sur la base d'une transaction électorale autour de questions d'équipement, d'infrastructures, etc., éloignées de la mission et des préoccupations parlementaires. Il bénéficie en outre d'une situation prééminente et d'une plus grande parcelle de pouvoir que les autres acteurs et candidats locaux car, en concentrant différents types de ressources disponibles, il consolide sa position et limite sévèrement la concurrence politique, freinant le renouvellement des élites (3). Ainsi, le cumul est une stratégie politique dont l'un des effets, et non le moindre, est d'entraîner l'apparition de barrières empêchant l'entrée dans le processus électoral.
Une autre conséquence néfaste du cumul vertical des mandats réside en l'absentéisme. Chargés de deux missions plus ou moins prenantes, dans deux lieux parfois très distants, les députés font preuve d'une disponibilité moindre, et remplissent leur fonction avec une efficacité et une effectivité diminuées.
La diversité et la complexité des relations entre mandat local et mandat national exigent, cela dit, de prêter un regard attentif à des déclinaisons qui ne seraient pas uniquement à charge contre le cumul. Il peut, dans certaines configurations, entraîner une articulation que l'on peut penser moins nocive de l'échelon local et de l'échelon national. C'est à titre d'exemple le cas des députés présidant des communes rurales ou éloignées du centre. Ici, la députation assure une fonction tribunitienne: le parlement est un lieu de plaidoyer, de formulation de demandes sociales locales d'infrastructure, de services élémentaires, etc. Même si l'espace politique législatif et l'espace communal ne se rejoignent pas entièrement, à travers son assise et sa proximité avec le niveau local, le député-maire peut être davantage éclairé sur les problématiques de sa circonscription, et disposer de meilleurs relais pour négocier une plus grande allocation de ressources, ou au moins construire, mettre en visibilité et introduire des problèmes locaux dans l'agenda public (4).
La possibilité d'une complémentarité positive entre mandat local et national mérite donc examen (5). Si l'on considère le travail parlementaire et le travail associé aux mandats locaux comme deux produits strictement substituables, obtenus à partir d'un facteur de production unique — le temps disponible —, « le cumul des mandats a une influence négative sur l'action parlementaire. En effet, comme le coût d'opportunité d'une activité est constant, le temps consacré à un ou plusieurs mandats locaux n'est pas consacré à l'activité parlementaire, ce qui la diminue d'autant » (6). En revanche, dans l'hypothèse d'une complémentarité plutôt que d'une substitution, dans laquelle l'output ou le produit des deux activités serait lié, le coût d'opportunité est décroissant, et « l'accroissement de l'activité locale a une incidence positive pour la production parlementaire. La principale explication que l'on pourrait donner à ces économies d'échelle réside dans la gestion de l'information. L'activité politique associée aux mandats locaux permettrait de collecter de l'information qui serait également utile pour l'activité parlementaire, et inversement » (7).
Déplacer la focale vers les cursus politiques
La question du cumul des mandats ne saurait, cela dit, être réductible à la seule pression qu'elle exerce sur l'agenda des élus, ou encore aux risques de conflits entre intérêts locaux et nationaux qu'elle pose. Elle sous-tend des choix politiques qui, sans être mutuellement exclusifs, induisent des sentiers différents. Ceux-ci ne peuvent être captifs de simples coutumes ou de routines politiques et institutionnelles, ou advenir de fait, comme effets secondaires ou dérivés — et, somme toute, impensés ou non-voulus — de décisions auxquels ils n'ont pas été intégrés. Enfin, la réflexion sur le cumul devrait être articulée à une autre, portant sur les cursus et les carrières politiques: l'objectif, pour le Maroc, est-il l'ouverture du mandat électif local à de nouvelles catégories, à des « citoyens éclairés » qui souhaitent contribuer à la chose publique sans en faire leur métier, ou s'agit-il davantage de la professionnalisation politique, entendue comme l'exercice d'une activité rémunérée à temps plein, l'accumulation d'une expertise décisionnelle, de savoir-faire particuliers, etc., à laquelle contribue le cumul des mandats et des positions, qu'il soit simultané ou séparé dans le temps ? Et, s'agissant de la professionnalisation même, celle-ci s'orienterait-elle vers une plus grande division du travail et une spécialisation du métier politique local — donc une différenciation des trajectoires de l'élu local et national — ou, à l'inverse, vers une diversification des positions des élus, qui occuperaient de façon successive ou simultanée des mandats locaux et nationaux ? En d'autres termes, le modèle, pour le Maroc, est-il celui de « l'articulation des arènes » (8), où le mandat électif local se présente comme une étape-pivot de la construction d'une carrière fondée sur la multipositionnalité, et dont l'orientation ascensionnelle pousse vers l'obtention d'un mandat national, ou un modèle de la « spécialisation » (9), où la mairie peut constituer un aboutissement d'une carrière politique, jalonnée par l'acquisition de compétences orientées vers, et fortement liées à la sphère locale ?
Il va sans dire que dans la réalité des systèmes politiques, aucun de ces deux modèles n'existe à l'état pur (10), la spécialisation des arènes politiques ne signifiant pas l'étanchéité totale des filières. Inversement, « là où les arènes locales, intermédiaires et nationales sont étroitement imbriquées, d'incontestables réussites politiques peuvent, exceptionnellement, se construire sur le choix marqué d'une spécialisation » (11).
Une plus grande attractivité de la fonction mayorale
Avec l'accroissement des prérogatives des présidents des conseils communaux, et la montée en complexité du métier politique local, le mandat communal est devenu nettement plus prenant. Il mobilise davantage de temps et d'efforts, nécessite un plus grand dévouement, et requiert des savoirs et des savoir-faire fortement orientés vers la sphère locale.
Si au Maroc, l'attractivité politique de la fonction exécutive locale a augmenté avec l'élargissement des prérogatives des conseils élus, les débouchés restent malgré tout maigres et faiblement rémunérateurs. Peu indemnisés, les maires des communes de petite et de moyenne taille ne peuvent théoriquement exercer leur mandat à plein temps, sauf dans des configurations notabiliaires. Dans ce dernier cas, le mandat exécutif local participe d'un dispositif de multipositionnalité, en garantissant une position dans l'espace politique local et national, soit individuellement, soit par la patrimonialisation et la distribution des responsabilités à l'intérieur du clan familial.
Quand ils ne disposent pas d'importantes ressources personnelles ou familiales, comme c'est le cas des notables, les présidents des communes doivent exercer une activité secondaire. Et, à l'inverse de la France, où l'éclatement communal et municipal — plus de 34 000 communes — a aménagé de nombreux espaces d'intercommunalité, qui ont permis à un nombre conséquent d'élus de se professionnaliser à travers le cumul horizontal des mandats (12), au Maroc, l'intercommunalité reste limitée aux grandes métropoles. La professionnalisation politique passe donc souvent par l'occupation successive de différentes fonctions politiques locales ayant pour aboutissement un mandat national; la fonction mayorale est un point de passage de la professionnalisation. Lorsqu'elle est cumulée avec un mandat national, elle participe d'une volonté de contrôler différentes échelles politiques.
L'élargissement des prérogatives des présidents des communes a donc engendré une augmentation de la valeur relative de la fonction mayorale sur le marché des biens politiques, mais en tant qu'ouverture vers des mandats nationaux, en ce qu'elle constitue une position stratégique dans la recherche de la multipositionnalité optimale.
En l'état actuel des choses, une limitation du nombre de mandats simultanés pour tous les présidents des communes, et à plus forte raison les autres catégories d'élus locaux, n'apparaît pas envisageable, aussi bien en raison du faible niveau de rémunération, que de la disponibilité des profils électibles sur le marché politique.
La stricte limitation, levier de la spécialisation telle que pratiquée dans certains pays, et dont les législations ou la coutume institutionnelle de ces pays offrent un reflet, n'est aujourd'hui pas concevable au Maroc, sauf dans les communes d'un important poids démographique.
En revanche, pour limiter les effets négatifs du cumul simultané des mandats sur le renouvellement du personnel politique local, il apparaît judicieux de limiter le cumul chronologique, en réduisant à trois le nombre de mandats successifs dont peuvent bénéficier les tenants des fonctions exécutives locales, comme proposé en France en 2018.
La « patrimonialisation » des mandats au sein des familles notabiliaires, tout comme les effets des mesures anti-cumul, qui donnent parfois lieu à des pratiques de contournement (cumul par procuration, familial) permettant à un leader local de redistribuer à ses proches les mandats qui lui sont désormais interdits, invitent à adopter de nouvelles incompatibilités résultant d'un lien de parenté, en limitant le nombre d'élus entretenant des liens de parenté qui peuvent siéger dans un même conseil élu, jusqu'au 4è degré (ascendants et descendants, fratrie, oncles et neveux, cousins germains). Il s'agirait également de restreindre la répartition familiale des mandats soit au niveau des listes des candidats, en limitant le nombre de candidats entretenant des liens de parenté jusqu'au 4è degré dans la même liste présentée par le même parti, pour différentes élections, dans le même ressort territorial — entendu comme la province ou la préfecture, en ce qu'elle englobe la commune, constitue l'échelon de base du découpage électoral de la région, tout comme elle couvre la circonscription législative —, soit en rendant inéligible à la fonction exécutive régionale les personnes ayant des liens de parenté avec un occupant d'une autre fonction exécutive locale dans l'une des communes que la région englobe, ou avec l'un des parlementaires élus dans les différentes provinces et préfectures de la région. Enfin, ces inéligibilités doivent porter sur des objets et des séquences particulières (processus d'établissement des listes des candidats par les partis, élection des présidents, des vice-présidents et des bureaux des communes, etc.) et non sur l'éligibilité à l'élection elle-même, qui est un droit garanti par la Constitution (article 30): une interdiction de portée générale encourrait le risque d'être considérée inconstitutionnelle. Les barrières à l'entrée gagneraient à être stratégiquement placées dans les textes législatifs et réglementaires afin de ne pas être en porte-à-faux avec la Constitution.
Références :
(1) Yves Mény, De la confusion des intérêts au conflit d'intérêts, Revue Pouvoirs n°147, 2013/4.
(2) David Goeury, Le pouvoir est-il enfin dans les mains des villes ? Eléments d'analyse spatiale des résultats des élections législatives marocaines du 25 novembre 2011, Revue Espaces-Temps, mai 2014 & Mohammed Tamim et Mohamed Tozy, Politique des marges et marges du politique: les logiques du vote collectif à Ouneine, Haut-Atlas, Maroc, Elections au Maroc: entre partis et notables (2007-2009), CM2S/Fondation Konrad Adenauer, 2010, p. 107-160.
(3) Selon Yves Mény, le cumul des mandats participe d'une « stratégie du baobab », du nom de cet arbre dont la voracité ne permet à aucune autre plante de croître à son ombre (Voir Yves Mény, La corruption de la République, Fayard, 1992, p. 89). Pour un examen de cette hypothèse, voir Abel François, Testing the 'Baobab Tree' Hypothesis: The Cumul des Mandats as a Way of Obtaining More Political Resources and Limiting Electoral Competition, French Politics, volume 4 n°3, 2006.
(4) Pour une recension d'arguments en faveur et en défaveur du cumul vertical des mandats, voir Geoffrey Grandjean, La limitation du cumul de mandats par les députés wallons, Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2255-2256, 2015/10-11.
(5) Abel François, Laurent Weill, Le cumul de mandats locaux affecte-t-il l'activité des députés français ?, Revue Economique, vol. 65, 2014, pp. 881-906
(6) Ibidem.
(7) Ibidem.
(8) Pierre Sadran, Le maire dans le cursus politique: Note sur une singularité française, Revue Pouvoirs, n°95, 2000, pp. 87-101.
(9) Ibidem.
(10) Ibidem.
(11) Ibidem.
(12) Bernard Dolez, Le cumul des mandats, la professionnalisation des élus et la réforme territoriale, Revue Française d'Administration Publique, n°156, 2015, pp. 931-944.


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