Manifestement, l'automne 2021 est un automne faste pour la littérature africaine qui rafle la mise. Le 7 octobre le prix Nobel a été décerné à l'écrivain tanzanien Abdulrazak Gurnah. Une fierté pour l'Afrique alors que jusqu'ici 85 % des lauréats étaient américains ou européens. Mais aussi une consécration de la littérature africaine anglophone. Sur les cinq écrivains africains lauréats du prix Nobel, quatre sont anglophones, le 5e est arabophone en la personne de Najib Mahfouz. Le 14 octobre, l'écrivain essayiste sénégalais est récompensé du prix international de littérature ''Neustadt'', un prix américain doté d'une somme de 50 000 dollars, (environ 500 000 MAD). Un mois après, le 4 novembre, c'est le Sud-africain Damon Galgut qui décroche le prix Booker récompensant les romans écrits en anglais. Le même jour, l'écrivain sénégalais Mohammed Sarr remporte le prix Goncourt pour son roman ''La plus secrète mémoire des hommes'' qui évoque le monde de la littérature dans tous ses états, adoptant une certaine distance avec des thèmes habituellement traités comme la guerre, la violence, la traite des enfants... Cette prestigieuse distinction, tout comme le succès commercial qui devait suivre avec des ventes attendues de plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires, est une belle consécration pour ce jeune auteur de 31 ans qui a déjà 4 romans dans son répertoire littéraire. Ni lui ni ses éditeurs français et sénégalais, ne sont célèbres ni chasseurs de prix et de récompenses dans le monde de l'écriture et de l'édition en France, et pourtant le livre a pu tenir et vaincre ses concurrents européens et autres... Fils de médecin, cet écrivain subsaharien fait ses études primaires et secondaires au Sénégal, avant de se rendre en France pour faire ses classes préparatoires et intégrer l'EHESS (Ecole des Haies études en sciences sociales) où il entame ses recherches sur l'ex président sénégalais et grand poète Léopold Sédar Senghor, avant de publier son premier roman ''Terre Ceinte ''. S'en suivent deux autres avant ''La plus secrète mémoire des hommes'' qui s'inspire du destin de l'écrivain malien ''Yambo Ouologuem'' au Sénégal. ''J'étais aux toilettes quand mon éditeur est venu m'annoncer la nouvelle, confie Sarr à l'animateur de l'émission française ''La Grande librairie''. ''Ce fut pour moi une joie simple mais aussi très profonde'', précise-t-il. Cette ambivalence nous ramène à l'idée du roman qui se base sur le thème même de l'écriture et de la littérature. Une histoire parallèle d'un écrivain noir des années 30 qui se voit rejeté et accusé de plagiat par l'homme blanc en France, mais qui persiste et continue d'écrire et de s'imposer, comme pour exprimer son indignation et son refus d'une certaine catégorisation qui fait que l'homme noir africain doit écrire selon certains critères et se concentrer sur les thèmes que lui autorise l'intelligentsia dominante qui contrôle toute forme de création et la classifie en fonction des origines et de la couleur de peau du créateur. La force du roman réside aussi dans cette double identification de l'auteur à deux écrivains comme lui, venus d'Afrique francophone, la langue même de cet oppresseur français, accusateur de plagiat et qui refuse de reconnaître un talent venu de cet ailleurs où tout est inférieur et méprisable. Seulement cette fois, la magie de la littérature et l'excellence de la production sont tellement fortes qu'au lieu d'être rejeté, elle se confirme par ce jeune Sarr qui gagne un prix, et pas n'importe lequel; le prix Goncourt, le plus prestigieux de la littérature en France. Sept membres du jury sur dix votent OUI pour ''La plus secrète Mémoire des Hommes'', et ce n'est pas tout, le président de l'académie française Didier Decoin vint aussitôt qualifier l'ouvre de Mohammed Sarr ''d'hymne à la littérature'', quand le secrétaire général de cette même académie Philippe Claudel confirme qu'''avec ce jeune on est revenus aux fondamentaux du testament Goncourt''. Un grand exploit pour un si jeune talent africain qui n'en finit pas avec son questionnement sur l'Homme, la vie et la littérature. Des questions qu'il déclare aimer et vouloir toujours poser dans ses prochains romans sans ne jamais essayer de trouver des réponses car, au fait, ''la réponse vient toujours fermer certaines des portes que la question avait justement la vertu d'ouvrir'', disait le philosophe et romancier français, Maurice Blanchot.