«Le Maghreb digère mal les accusations de la France, fussent-elles étayées par des chiffres. Il est certain que Paris ne se permettrait pas d'adopter le même ton avec la Russie ou la Chine, qui ne reprend quasiment aucun de ses ressortissants expulsables» écrit Le Figaro dans une analyse qui accable la politique migratoire de la France. Paris a annoncé, mardi 28 septembre, la réduction du nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie, en raison du nombre insuffisant des laissez-passer nécessaires qui doivent être délivrés au retour des personnes reconduites de France. En matière de visa, le pouvoir d'appréciation de l'administration est large, les critères de refus n'étant pas fixés par la législation, la décision française interpelle. «L'éloignement est le talon d'Achille de la politique migratoire française. À tel point que l'exécutif se voit contraint, à sept mois de l'élection présidentielle, de révéler dans quel dénuement se trouve son administration avec certains pays du Maghreb» écrit Le Figaro, qui épingle principalement l'Algérie : «Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre janvier et juillet 2021, l'Algérie n'a délivré que 31 laissez-passer consulaires (documents indispensables au retour) pour 7 731 OQTF prononcées, et 22 expulsions réalisées, soit un taux d'exécution de 0,2 %.» Emmanuel Macron a décidé, à titre de rétorsion, moins de visas à l'avenir pour les ressortissants de ces pays. «Mais la réaction du ministère des Affaires étrangères algérien, piqué au vif, est lourde de menace : il déplore un acte malencontreux qui frappe de précarité et d'incertitude un domaine sensible de coopération». Pour rappel, les relations entre Rabat et Alger sont au plus mal depuis le début de l'année. Le Figaro explique la complexité de la bureaucratie française : «Concrètement, une OQTF n'est qu'une invitation à partir. Quand un préfet signifie cet acte au clandestin, celui-ci a un mois pour s'exécuter. S'il s'agit d'une mesure sans délai, le départ doit se faire dans les 48 heures à partir de la notification de la décision. Sauf si l'intéressé est mineur ou s'il peut justifier d'un séjour régulier en France de plus de dix ans ou d'un mariage de plus de trois ans avec un ou une Française, ou bien s'il est père ou mère d'un enfant mineur né en France. Dans les autres cas, la règle est l'assignation à résidence. Car le placement en centre de rétention administratif (CRA) est l'exception. La France ne dispose que de 1 800 places en CRA. Ceux-ci sont saturés en permanence. Ce qui aboutit à des pratiques parfois ubuesques qui conduisent certaines patrouilles à traverser la moitié de la France pour convoyer un clandestin dans un centre où il reste encore de la place.» Parallèlement, ajoute la même source, le Sénat pointe des crédits insuffisants : 34 millions d'euros en 2021 et «l'absence de volonté du gouvernement sur ce sujet». La justice française n'est pas en reste, estime-t-on. «Le clandestin peut d'abord faire un recours devant le juge administratif contre son OQTF. Mais le tribunal judiciaire peut également intervenir dans le processus en cas de rétention. Il a 48 heures pour se prononcer et examine la régularité de l'interpellation, de la retenue pour vérification du droit au séjour, de l'acheminement au lieu de rétention… Souvent, il libère l'intéressé avant même que son collègue de l'ordre administratif ait pu se prononcer sur la régularité du séjour. Selon la Cimade, en 2019, par exemple, 40 % des personnes placées en CRA en métropole ont été libérées, principalement sur décision judiciaire. Total de personnes placées en CRA cette année-là et effectivement éloignées : 12 178, dont 6 491 vers des pays tiers à l'Union européenne. Pour plus 120 000 OQTF en un an. Ces dix-huit derniers mois, la situation sanitaire a bien sûr pénalisé l'action de l'Etat, en raison des fermetures de nombreuses frontières et du gel des transports aériens durant de longues périodes» détaille-t-on. Un problème plus complexe que cela «Quand bien même l'Etat finit par obtenir gain de cause sur l'expulsion, encore faut-il que le clandestin prenne effectivement l'avion censé le ramener au pays. Et c'est là que le bât blesse. Certaines associations très actives n'hésitent pas à fournir le mode d'emploi aux clandestins pour faire échouer leur embarquement» précise-t-on. Le chantage aux visas pour motiver les pays qui refusent d'accorder des laissez-passer consulaires peut-il faire bouger les lignes ? «Le Maghreb digère mal les accusations de la France, fussent-elles étayées par des chiffres. Il est certain que Paris ne se permettrait pas d'adopter le même ton avec la Russie ou la Chine, qui ne reprend quasiment aucun de ses ressortissants expulsables» épingle-t-on. En matière d'expulsion, conclut-t-on, plus les ministres de l'Intérieur français ont joué des muscles, plus ils ont été démentis par les faits. En 2012, sous Sarkozy, le taux d'exécution des OQTF (22,3 %) était deux fois plus élevé que sous Macron.