Le viol et l'assassinat d'une femme de 19 ans ont engendré une onde de choc en Algérie, relançant le débat sur la peine capitale d'une part et sur l'urgence de la lutte contre les violences faites aux femmes de l'autre. Le corps calciné de Chaïma, 19 ans, a été retrouvé dans une station-service déserte à Thenia, à 80 km à l'est de la capitale Alger, ce mois-ci. La jeune fille a été battue et violée avant d'être brûlée vive, selon les médias locaux. Le suspect, passé aux aveux, est poursuivi pour « viol et homicide volontaire avec préméditation et guet-apens en utilisant la torture ». On rapporte également que le corps calciné d'une autre femme a été retrouvé dans une forêt pendant la nuit. Il s'agit, selon la mère de la victime, d'une ancienne connaissance de la famille, contre laquelle la jeune fille avait porté plainte pour viol en 2016. Cette affaire a déclenché un grand débat en Algérie, sachant que des recherches sur les violences sexuelles judiciarisées, des plus anciennes aux plus récentes, montrent que les auteurs mis en cause pour des affaires de viol n'encourent que des peines légères. La mort de Chaïma, dont le nom de famille n'est pas précisée, a déclenché une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, où les internautes fustigent un crime « crapuleux » et réclament justice. Les activistes algériens déplorent que les violences contre les femmes ne fassent pas l'objet de réelles politiques publiques dans le pays. Afin de « briser le silence », plusieurs collectifs féministes avaient appelé à des rassemblements. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes d'Algérie pour demander des mesures pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes. Des femmes ont organisé des sit-in à Alger et à Oran, scandant le prénom de Chaïma et appelant à mettre fin à la violence sexiste. Les militants se sont également tournés vers les réseaux sociaux avec le hashtag #JeSuisChaima (je suis Chaïma). Les militants disent qu'il y avait une forte présence policière malgré les petites manifestations. Culture de viol et de la violence « Ceux qui gardent le silence sont tout aussi responsables », ont accusé une centaine de manifestantes rassemblées devant la faculté centrale d'Alger avant d'être rapidement dispersées par la police. « Nous rêvons d'un pays où les femmes qui parlent de viol sont plus écoutées que les hommes qui parlent de voile », pouvait-on lire sur une pancarte brandie avec les portraits de victimes de féminicides. A Oran (nord-ouest), la manifestation a été d'emblée empêchée par la police. Une vingtaine de personnes ont été interpellées puis relâchées un peu plus tard, selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), une association de soutien aux prisonniers d'opinion. Dans une vidéo poignante diffusée sur les réseaux sociaux et reprise par les télévisions locales, la mère de la victime, s'adressant directement au président algérien, Abdelmadjid Tebboune, réclame l'exécution du coupable. Sur Internet également, le débat sur la peine capitale est relancé. « L'exécution doit être appliquée au tueur, pour être un exemple pour tous ceux qui pensent à la même action », « Il faut ouvrir le débat sur la peine de mort, le monstre qui l'a tuée n'a pas sa place dans la société ni en prison », exhortent des internautes sur Twitter. La remise en cause du moratoire sur les exécutions, appliqué en Algérie depuis 1993, divise la société. «Ce gouvernement n'offre ni abris ni mécanismes pour protéger les victimes de leurs tortionnaires, ce gouvernement dit qu'il a des lois, mais en réalité, les femmes sont invitées à pardonner à leur agresseur, que ce soit leur frère ou leur père ou autre», a dit une femme. « Les femmes déposent plainte et attendent trois ou quatre ans pour qu'elle soit résolue et qu'un jugement soit rendu. Ce sont des conditions inacceptables. L'Algérie est pour les Algériens et les Algériens » a-t-elle ajouté. La mère de Chaïma a déclaré que le suspect avait tenté de violer sa fille en 2016, alors qu'elle avait 15 ans, mais l'affaire a été classée. Le groupe Fémicides Algérie, qui suit ces meurtres, indique que 38 femmes ont été tuées en raison de leur sexe dans le pays depuis le début de l'année. Ils en ont enregistré 60 en 2019, mais estiment que le nombre réel est beaucoup plus élevé car de nombreux meurtres de ce type ne sont pas signalés. Algérie Féminicides a recensé jusqu'ici 38 cas de meurtre de femmes pour la seule année 2020, une soixantaine en 2019. Un chiffre bien en dessous de la réalité, selon les deux initiatrices du projet. Un communiqué de la Protection civile a fait état jeudi de la la découverte du corps calciné d'une autre femme, âgée d'une trentaine d'années, dans une forêt à El Eulma, dans la région de Sétif (est). « Il faut faire bouger les mentalités et le système judiciaire pour la prise en charge psychologique et juridique des victimes. Lancer des campagnes nationales de sensibilisation, ouvrir des centres d'écoute et d'hébergement et former les différentes institutions », préconise Mme Oussedik. Le président Tebboune a ordonné dimanche l'application des peines maximales, sans possibilité d'allègement ou de grâce, contre les auteurs de crimes d'enlèvement de personnes « quels qu'en soient les tenants et aboutissants ».