Les ramifications de la plus grande escroquerie immobilière qu'ait connu le Maroc, qui a éclaté en novembre 2017, se découvrent petit à petit. Rendez-nous notre argent! », s'époumone une petite foule sur un terrain vague supposé abriter des immeubles d'habitation, un des projets fictifs de ce qui est décrit comme la plus grande arnaque immobilière de l'histoire du Maroc. Les spots TV promettaient des logements de rêve : « trois au prix de deux ». Ce ne fut qu'un mirage : près de 800 millions de dirhams ont disparu, plus de 1.000 acheteurs ont été grugés, selon leur avocat. Ce scandale d'une ampleur inédite provoque des remous politiques. Interpellé au Parlement, le chef du gouvernement Saad-Eddine El Othmani a dédouané l'exécutif, suscitant l'indignation des victimes qui en appellent au roi Mohammed VI. Car si l'homme par qui le scandale est arrivé est maintenant en prison, restent d'innombrables questions sur les responsabilités et complicités qui ont permis cette vaste escroquerie. Placé en détention en novembre, Mohamed el Ouardi, à la tête du groupe Bab Darna, est accusé d'avoir encaissé des chèques de projets vendus sur plan, sans avoir les terrains ni les autorisations, au vu et au su de tous. « La piscine devait être juste là ! », ironise Soufiane, quadragénaire, devant le chantier jamais ouvert dans la capitale économique Casablanca, où il a acheté un appartement imaginaire. Un panneau promettait des logements « haut standing », la plaquette vantait « menuiserie en bois noble » et marbre à profusion… Sur une dizaine d'années, le groupe Bab Darna, constellation de sociétés, a encaissé les acomptes auprès d' »au moins 1.000 victimes », en partie parmi la diaspora, pour une quinzaine de projets fictifs dans le Grand Casablanca, détaille un des avocats des victimes, Mourad el Ajouti. Plus de 600 millions de dirhams auraient été détournés par le promoteur qui « encaissait des avances de 20% à 100% » et « l'argent a disparu », selon lui. Houria, 49 ans, responsable e-commerce, évoque des « commerciaux très persuasifs » qui l'ont convaincue de ne pas laisser passer « une occasion en or ». Elle y a laissé un acompte de 400.000 dirhams qui devait représenter 20% du prix final de sa villa. Le groupe n'avait en fait « ni les titres de propriété ni les permis de construire », explique l'avocat. Cela n'a pas empêché cette société de sillonner les salons de l'immobilier à Casablanca, Paris ou Bruxelles à grand renfort de publicité. Des palissades de chantiers et des bureaux de vente ont fleuri sur des terrains que le promoteur ne possédait pas. Le patron du groupe, Mohamed el Ouardi, 59 ans, est décrit aujourd'hui comme un bonimenteur qui s'est frayé un chemin dans la jungle de l'immobilier. En novembre dernier, des clients finissent par s'impatienter, voyant qu'aucun des projets n'est sorti de terre. Ils s'invitent chez lui. L'homme se confond en excuses et distribue des chèques qui s'avèrent sans provision. Les investisseurs floués reviennent pour l'emmener de force au commissariat. El Ouardi est placé en détention, avec six complices présumés: le notaire, son directeur financier, des commerciaux. Les faits ont été requalifiés, passant de délits à crimes. Ils risquent jusqu'à 20 ans de prison. De nombreuses victimes sont issues de la diaspora marocaine, qui compte plusieurs millions d'âmes dans le monde et investit volontiers dans l'immobilier au pays, afin de disposer d'un pied-à-terre pour les vacances ou dans l'optique d'un retour plus ou moins lointain. L'affaire Bab Darna a elle « porté un coup dur à la crédibilité du secteur », concède Anis Benjelloun, vice-président de la Fédération des promoteurs immobiliers. « La Fédération n'a eu de cesse de dénoncer ce genre de pratiques. Ce n'est pas une opération immobilière mais une escroquerie permise par un dispositif laxiste », affirme-t-il. La ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat, Nezha Bouchareb, elle, reconnaît un « certain nombre de dysfonctionnements et pratiques illégales. Nous devons déployer plus d'efforts pour les corriger ». Les ventes sur plans provoquent régulièrement des scandales, entre publicités mensongères et retards de livraison. Elles sont régies par une loi de 2002, amendée en 2016 pour mieux encadrer les transactions, mais toujours sans décret d'application. Celui-ci est « en cours de finalisation », selon la ministre.