Mardi 8 octobre, le ministre de l'Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts, Aziz Akhannouch, donnait, le coup d'envoi officiel de la campagne agricole 2019-2020. Le ministre en a profité pour vanter les réalisations de de la campagne agricole précédente. Quoique, par rapport à la réalité des choses, certaines réalisations n'aurait-elles pas été « dopées »? En premier lieu, l'un des premières données du bilan dressé par le ministre est que « la part de l'agriculture dans le PIB du Maroc a doublé durant les 10 dernières années ». Néanmoins, un constat contraire s'impose. Selon les données les plus récentes de la Banque Mondiale, la part de l'agriculture dans le PIB n'a pas augmenté durant ces dernières années, elle a même été revue à la baisse entre 13% en 2008 et 12,4% en 2018. Source : Banque Mondiale Un deuxième point cité par le ministre de l'Agriculture est le fait que « le Maroc arrive à couvrir la majorité de ses besoins alimentaires ». Jetons un coup d'œil sur les chiffres cités dans le bilan : ainsi, supposément, le Maroc couvre 100% de ses besoins en fruits et légumes, 98% à 100% de ses besoins en lait et viandes, 47% de ses besoins en sucre, et 60 à 70% de ses besoins en céréales. En réalité cette déclaration jette le voile sur la réalité de certaines denrées alimentaires, où le Maroc est toujours très dépendant à l'importation. Selon la Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), « sans aucune démarche rationnelle, le PMV avance des taux de dépendance aux importations inférieurs » par rapport à la réalité, « soit 40% pour les céréales, 38% pour le sucre et 81% pour les oléagineux ». Hier, se sont tenues à Casablanca les rencontres franco-marocaines des céréales, où la France a dévoilé son offre pour la campagne agricole 2019-2020. Le Maroc compte importer 3,8 millions de tonnes de blé tendre cette année, soit 1,15 millions de tonnes par rapport à la saison précédente, et la France compte en fournir 65%, soit 2,5 millions de tonnes. Le Président France Export, Philippe Heusele n'a pas manqué d'appuyer le fait que le marché mondial était bien approvisionné pour répondre à la demande marocaine, dont la moisson a reculé de 49%. Rappelons que la récolte céréalière 2019 s'est limitée à 52 millions de quintaux de céréales Ainsi, même si le Maroc se porte mieux en termes de sécurité alimentaire, sur le plan continental, que plusieurs de ses pairs africains, l'autosuffisance prônée par Akhannouch est inutile puisque la sécurité alimentaire n'est pas réalisée. En effet, si, en théorie, le PMV est érigé en moteur majeur de développement économique et social, ses concepteurs ont omis de traiter la question de sécurité alimentaire. L'amélioration des niveaux de sécurité alimentaire passe obligatoirement par la création d'emplois permanents et par l'amélioration significative du pouvoir d'achat et du rapport qualité/prix pour le consommateur marocain sur le marché national. Ce que le PMV n'a pas réussi à réaliser. L'économiste Najib Akesbi nous faisait part, dans une précédente interview, de chiffres alarmants : Le PMV avait fixé un objectif de 1.500.000 d'emplois nets entre 2008 et 2020, alors qu'en réalité, le secteur agricole a perdu 15.000 emplois chaque année sur 10 ans. Ainsi, selon Akebsi, « le PMV n'a, non seulement pas créé suffisamment d'emploi, mais qu'il en a détruit ». Et pour cause, de grosses subventions ont été dirigées vers la mécanisation, chose qui rend la main d'oeuvre humaine obsolète. D'ailleurs, Najib Akesbi relevait dans la même interview que « si le PMV avait vraiment réussi à distribuer les revenus correctement, et améliorer le niveau de vie de la population, le Roi n'aurait pas eu besoin d'en faire un point dans son discours, en parlant de classe moyenne et d'emploi des jeunes. Faire de la redistribution c'est bien, mais la meilleure façon d'améliorer le niveau de vie, reste de créer des emplois. C'est le Roi qui a infligé le démenti le plus catégorique à la propagande du Ministère de l'Agriculture ». Concernant la production des oléagineux, selon une étude de l'International Centre for Advanced Mediterranean Agronomic Studies (CIHEAM), menée par Meryem Berdai, ingénieur agronomiste, le Maroc devrait atteindre une autosuffisance de 18% à l'horizon 2020, l'écart est béant avec les 81% présentés dans le bilan. En termes de d'offre et de demande, selon la FAO, « la faiblesse du Plan Maroc Vert réside toujours dans le fait qu'il s'est contenté de fixer des objectifs partant de l'offre potentielle à l'horizon 2020 tout en ignorant la demande ». Cela est l'une des cause majeurs pour lesquelles plusieurs produits marocains ont du mal à être écoulés en exportations. En effet, ces objectifs que s'est fixé le PMV n'ont pas pris compte des mécanismes nécessaires à leur réalisation, à savoir, l'articulation entre la production, la transformation et la commercialisation. Najib Akesbi nous donnait l'exemple de deux filières particulièrement déficitaires dans ce cas : les agrumes et les olives. Pour la première, les efforts ont été déployés en amont, à la production, mais pas en aval, à la commercialisation. Ainsi, en cas de surproduction, des quantités énormes d'agrumes se sont retrouvées jetées dans les champs, nous confiait alors, M. Akesbi. L'exportation des agrumes marocaines étant aujourd'hui de plus en plus rude vers l'Union Européenne, puisque l'agrume espagnole, italienne et grecque sont naturellement priorisées, au sein du bloc européen. Pour les olives, Najib Akesbi s'indignait : « A coup de subventions, bien sûr, nous étions à 600.000 hectares, nous en sommes aujourd'hui à un million. Que n'a-t-on entendu sur les évolutions du marché mondial ? Nous voilà avec des surfaces et des productions augmentées, mais les chiffres officiels de l'exportation de l'huile d'olive ont baissé ! Non seulement on n'a pas progressé, mais pire, on a baissé. Et encore, le problème est atténué puisque l'huile d'olive est stockable et moins périssable que les agrumes ». Les bilans du PMV auront beau vanter la hausse de production des agrumes, le plus important n'est pas combien nous avons produit, mais comment en a-t-on tiré profit dans l'économie nationale? Selon les chiffres du HCP, les gains agricoles de l'année 2019 sont revus à la baisse. A chaque fois qu'un bilan du PMV est dressé ou que des chiffres sont présentés, nous nous retrouvons face à un discours très optimiste, où le seul problème qui est reconnu est « le manque de pluie », et encore, puisque cette dernière ne relève pas des prérogatives d'Akhannouch…heureusement ?