Les inégalités sociales s'exacerbent au Maroc. Les programmes publics adoptés pour bonifier les conditions de vie des Marocains n'ont pas jugulé les inégalités sociales. Ceci reflète le caractère peu inclusif du modèle de développement jusque-là déployé. Les initiatives et programmes lancés par le Royaume pour rajuster son niveau de développement social ont favorisé une baisse notable de la pauvreté et un amenuisement de la précarité. Toutefois, les avancées encourageantes enregistrées par le Maroc n'ont pas permis de brider les inégalités sociales, qui ne cessent d'afficher une résistance à la baisse. Ce constat, dressé par une étude réalisée conjointement par le ministère de l'Economie et des Finances, l'ONDH (Observatoire National du Développement Humain) et l'AFD (Agence Française de Développement), doit interpeller les pouvoirs publics. Ainsi l'indice de Gini, qui mesure la dispersion de la distribution des revenus, estimé à 0,39, place le Maroc dans la catégorie des pays les moins égalitaires. Plus encore, les 10% les plus riches ont un niveau de vie en moyenne 12 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres, un écart qui n'a guère reculé depuis les années 1990. Certes, le Maroc s'est inscrit dans un processus d'émergence accéléré. Aujourd'hui, on compte environ 139 programmes couvrant des domaines variés tels que, l'éducation, la santé, la lutte contre la pauvreté et l'emploi. Néanmoins, cette dynamique s'est avérée encore insuffisante pour constituer un rempart contre le creusement des inégalités sociales. A la veille des assises de la fiscalité, Oxfam Maroc a présenté son rapport « Un Maroc égalitaire, une taxation juste », où est dressé un état des lieux sur les inégalités au Maroc, et formule des recommandations pour faire de la fiscalité un instrument de réduction des inégalités. Ce rapport révèle qu'il faudrait 154 ans à une personne salariée au SMIG pour gagner ce que reçoit en 12 mois l'un des milliardaires du Maroc. En effet, trois milliardaires marocains les plus riches détiennent à eux seuls 4,5 milliards de dollars, soit 44 milliards de dirhams. Leur richesse est telle que la croissance de leur fortune en une année représente autant que la consommation de 375.000 Marocains parmi les plus pauvres, sur la même période. D'après ce rapport, la plupart des personnes pauvres et vulnérables résident en zones rurales et plus de 1,6 million de personnes restent pauvres et 4,2 millions de personnes restent vulnérables, c'est-à-dire susceptibles de basculer dans la pauvreté à tout moment. Les jeunes et les femmes sont particulièrement touchés par la précarité car la grande majorité ne parvient pas à accéder à un emploi stable, à un salaire décent et à une couverture médico-sociale. En effet, seuls 22% des femmes occupent un emploi, contre 65% des hommes et près de trois quarts des jeunes diplômés du supérieur sont au chômage. Il existe une très grande inégalité dans l'accès à l'éducation. 1/3 de la population marocaine est encore analphabète. Le secteur de la santé rencontre aussi des problèmes de disparités importants, comme en témoigne le taux de mortalité infantile qui s'établit à 33,9% pour 1000 naissances vivantes pour les enfants issus de ménages pauvres alors qu'il n'est que de 18,7% pour ceux relevant des ménages aisés. Afin de réduire ces inégalités, il faut que le gouvernement repense ses choix politiques et économiques. D'ailleurs, l'expert en droit constitutionnel et spécialiste des affaires parlementaires et partisanes, Rachid Lazrak, contacté par Barlamane.com/fr, a souligné que le Maroc n'a pas pu diminuer les inégalités de richesse par le fait des personnes qui ont été en charge de la réalisation des programmes de développement humain, à savoir des péjidistes. « Ceux qui devaient réaliser des programmes pour promouvoir la croissance inclusive au Maroc n'ont pas été suffisamment qualifiés. Ils n'étaient pas aptes à mettre en place des stratégies adéquates pour lutter contre les inégalités sociales. S'ajoute à cela l'attribution de certains portefeuilles ministériels qui était arbitraire. Il faut savoir aussi que le gouvernement précédent s'est approprié la vision de la Banque mondiale pour son programme gouvernemental sans pour autant réfléchir sur les répercussions de choix sur le développement de son capital humain« , a-t-il expliqué. Pour ce chercheur, le modèle de développement actuel a atteint ses limites. « Le Monarque est revenu, dans son discours du Trône et dans son discours du 66ème anniversaire de la Révolution du roi et du peuple, sur les grandes orientations du nouveau modèle de développement. Ce nouveau modèle vise à réduire les inégalités sociales et à propulser véritablement le Maroc sur le chemin de l'émergence, en s'appuyant sur certains acquis et progrès enregistrés ces dernières décennies« , a-t-il indiqué. Clairement, la croissance au Maroc n'arrive pas à faire disparaitre les inégalités sociales. Pour Abdelkhalek Touhami, professeur-chercheur à l'Institut National de Statistique et d'Economie Appliquée (INSEA), il y a toujours confusion au Maroc entre le concept de « pauvreté » et le concept « d'inégalité ». « Les programmes généralement mis en place essayent de lutter contre la pauvreté et non pas, de façon explicite, contre l'inégalité. L'inégalité est une notion relative alors que la pauvreté est une notion absolue. Par exemple, n'importe quel programme peut être bénéfique aux pauvres. Toutefois, il se peut que les non-pauvres en bénéficient également. Ils peuvent même en bénéficier plus que les pauvres. Dans ce cas-là, on aurait pu lutter contre la pauvreté mais les inégalités persistent« , a-t-il expliqué. Pour l'économiste, « lutter contre la pauvreté ne veut pas forcément dire lutter contre les inégalités ». « Plusieurs programmes qui ont été mis en place (ndlr : Tayssir, INDH, …) ont été mal gérés. Des problèmes au niveau de leur coordination, ont apparu également. D'ailleurs, plusieurs rapports d'évaluation de ces programmes indiquent clairement que ce sont les riches qui profitent amplement de ces programmes« , a-t-il expliqué. A ce rythme, les inégalités sont susceptibles de ne pas baisser. Par conséquent, les programmes élaborés pour lutter contre la pauvreté peuvent ne pas être efficaces en ce qui concerne la lutte contre les inégalités. « Prenons l'exemple de la caisse de compensation. Il s'avère que ceux qui bénéficient de ce système sont en majorité des riches. Ainsi, le système de compensation favorise davantage les riches que les pauvres. Il peut même augmenter les inégalités même s'il réduit un peu la pauvreté« , a-t-il poursuivi. Par conséquent, la question de la promotion de la croissance inclusive au Maroc n'est pas évidente. Tout le monde est en train d'essayer de trouver la formule magique et la solution parfaite pour promouvoir cette croissance inclusive. « Actuellement, le gouvernement doit intervenir à travers les outils disponibles, à savoir les politiques fiscales et les politiques budgétaires, c'est-à-dire trouver les moyens pour ne pas faire bénéficier les riches des programmes de lutte contre les inégalités pour que les pauvres soient les seuls qui en bénéficient« , explique l'économiste. « Le prochain modèle de développement doit réduire ces inégalités. Le Roi a déjà dressé la feuille de route de ce modèle. D'ailleurs, l'une des réponses au pourquoi de ce modèle est justement la réduction des inégalités sociales ainsi que les inégalités spatiales. Les membres de la commission ad-hoc chargée d'élaborer le projet du nouveau modèle de développement ont une mission claire tracée par sa Majesté. Ils doivent réfléchir à un modèle de développent qui réduit ces inégalités sociales et territoriales« , a-t-il conclu. Il s'avère ainsi que la réduction de la pauvreté ne s'accompagne pas forcément d'une baisse des inégalités. Alors que les pauvres deviennent moins pauvres, les riches s'enrichissent davantage. Pour remédier à cette situation, il sera important que la réduction des disparités et des inégalités sociales et territoriales soit au coeur du nouveau modèle de développement.