Dans le cadre des travaux des 42èmes Assises de l'Union internationale de la presse francophone, Khalil Hachimi Idrissi, président de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux, a prononcé une allocution dans laquelle il a procédé à une analyse de la situation de la presse au Maroc et des perspectives de son développement. Ci-après le texte intégral de l'allocution du président de la FMEJ. Dans les pays, comme le nôtre, en transition vers la démocratie, qui marche vers la consolidation de l'Etat de droit, qui aspire à l'enracinement de la culture des droits de l'Homme, et surtout, pour ce qui nous concerne, qui s'essaie à la construction d'un vrai espace de liberté d'expression, la lenteur de la nécessaire mise à niveau du champ politique complique la vie de la presse. La nature ayant horreur du vide, la presse, par dilatation naturelle, occupe tout le champ politique, car les acteurs censés faire vivre la vie publique, leur vocation constitutionnelle, sont en chantier, indisponibles, dépassés ou frappés d'obsolescence. Malgré les apparences et les facilités que cela peut procurer sur le plan éditorial, cette situation ne sert pas les intérêts de la presse. Ne sert pas non plus l'évolution politique souhaitable avec toutes les prises de conscience que cela implique. Et ne sert pas, au final, la démocratie car personne ne peut raisonnablement imaginer une démocratie sans partis politiques avec seulement une presse irrésistible, livrée à elle même et à ses vieux démons. Au Maroc, où comme vous le savez sans doute, nous sommes dans une phase intensive de débat sur, justement, les médias et la société, nous avons fait le tour de cette question. Nous avons été assez loin dans la substitution de la presse aux partis politiques jusqu'à arriver à des points de non retour. Nous avions arrêté de faire du journalisme sans réussir à faire vraiment de la politique. Nous avons rompu avec notre légitimité professionnelle, avec les fondements de notre déontologie, sans acquérir, pour autant, une légitimité politique que seules, en démocratie, les urnes peuvent conférer. On s'est détourné de l'information, notre métier de base, de l'analyse construite, du commentaire utile pour nous perdre dans les méandres du bricolage de projets de société hasardeux ou de révisions constitutionnelles improbables. Nous nous sommes parfois substitués à la classe politique mais également à la société pour lancer des anathèmes, des slogans et tenir des postures étrangères à notre vocation d'informer et notre devoir de faire vivre simplement le débat démocratique. Nous sommes devenus suffisants, c'est, alors, que nos insuffisances ont éclaté au grand jour. Nous avons découvert que seules des entreprises de presse, mises à niveau, évoluant dans un vrai secteur organisé, suffisamment capitalisées, offrant de vrais statuts, de vraies carrières et de vraies formations aux professionnels, déontologiquement qualifiés, socialement responsables, maîtrisant les nouvelles technologies, pouvaient dans l'indépendance et la clarté faire vivre la liberté de la presse. Par contre, des entreprises de presse informelles, en marge de la législation sociale et fiscale, faisant travailler des personnels non qualifiés, cherchant à corps perdu leur chiffre d'affaires en marge de la déontologie, de l'éthique, du respect de la vie privée, de l'intérêt général ou du bien public, ne pouvaient utilement constituer un avenir pour notre secteur ou pour notre profession. Elles ne pouvaient pas non plus mettre en avant une utilité sociale ou politique quelconque. C'est à ce moment, de notre analyse, que nous avons rencontré l'Etat plutôt sous la forme d'une collision. Aux dérapages déontologiques des uns répondaient les jugements disproportionnés des autres. Aux excès des uns correspondaient les demandes de réparations astronomiques des autres. Aux simples fautes professionnelles des uns il y avait, toujours, en écho cette même incompréhension administrative ou sécuritaire des autres. Une impasse totale, une justice braquée, une presse dévaluée, des lecteurs évaporés, un Etat qui prend le maquis, des journaux harcelés, un environnement entrepreneurial instable, une image du pays écornée, injustement, d'ailleurs, compte tenu des progrès accomplis et finalement un secteur en panne. Et là permettez-moi d'être franc avec vous. C'est dans les pays où l'on s'essaie le plus à la démocratie, à la liberté, à l'ouverture que les dérapages existent. Notre pays fait partie de cette catégorie. Il en est emblématique à plusieurs égards. Si l'encéphalogramme était plat, nous n'en serions pas là. Si, aujourd'hui, nous sommes engagés dans ce dialogue national, «Médias et société», c'est que nous croyons que le temps est venu, pour nous, de poser correctement le problème. Nous devons opérer à partir d'entreprises de presse de qualité, aux normes, formelles, socialement et fiscalement responsables. Ces entreprises méritent le soutien transparent et universel des pouvoirs publics comme l'Etat le fait avec tous le secteurs productifs. Nous avons une expérience positive dans ce sens, il faut l'améliorer et la capitaliser. Nous devons immuniser l'exercice de notre métier contre les dérives en prenant en charge nous-mêmes l'autorégulation déontologique de la profession. Nous devons travailler dans un marché assaini où la concurrence, la publicité et les rapports entre les annonceurs et les supports obéissent à un minimum de règles éthiques. Nous devons légitimement aspirer à un cadre juridique, un code de la presse, clair, moderne, évolué et libéral, conscient qu'au départ de tout, à l'origine, il y a la liberté. Une et insécable. La responsabilité nécessaire, elle, doit s'exercer dans la transparence, dans la définition des délits, des devoirs et dans l'existence d'une règle du jeu nette, connue, immuable, non adaptable et non versatile. Nous devons définir ensemble ce qui constitue l'intérêt général et notre mission dans ce cadre, et consigner explicitement cela dans des documents opposables à tous les partenaires. C'est comme cela que l'on peut en finir avec les dérapages d'où qu'ils viennent, en finir avec les interprétations de circonstances et les lectures hasardeuses, ou intempestives, de la loi. Il n'y a, probablement, pas de liberté sans responsabilité. Mais si le champ de la responsabilité peut être défini par la loi, c'est le rôle du législateur, la liberté dont notre profession se nourrit, tous les jours, ne peut s'élargir davantage que si nous veillons nous-mêmes à ce que son exercice formidable soit inspiré par les actes les plus nobles. L'information, une nécessité vitale pour le progrès des sociétés humaines «L'information n'est plus un simple droit, elle est devenue une nécessité vitale pour le progrès et l'évolution des sociétés humaines», a affirmé, mardi à Rabat, le président de la section marocaine et vice-président international de l'Union internationale de la presse francophone, Abdelmounaïm Dilami. «Les médias sont transformés en vecteurs incontournables de modernisation et d'évolution de l'humanité. La problématique de la liberté d'expression ne se pose plus comme un choix, elle est devenue une nécessité incontournable», a souligné M. Dilami, qui s'exprimait à l'ouverture des 42 èmes Assises de l'Union internationale de la presse francophone. «Les médias ne sont plus seulement un outil d'exercice de la liberté d'expression, ils sont aussi et surtout un outil permettant à chaque citoyen de se placer psychologiquement et intellectuellement au centre du monde», a-t-il ajouté. M. Dilami a, par ailleurs, indiqué que «l'exercice de notre profession a besoin d'être constamment actualisé et conceptualisé, d'où l'intérêt de notre rencontre et l'importance de notre Union qui nous permet de confronter nos idées et expériences et nous offre la possibilité d'entrer dans un bain d'informations professionnelles».