En 1975, une nouvelle guerre civile commençait au Liban, qui allait durer quinze ans. Elle fut le premier conflit qui, après les tragédies arménienne et assyro-chaldéenne du début du XX ème siècle, présenta une dimension d'affrontement islamo-chrétien. Depuis, le Liban essaye de se reconstruire et de panser ses plaies, même si aucune question de fond (inégalités entre communautés, problème des réfugiés palestiniens, confrontation avec Israël, influence syrienne, etc) n'a vraiment été réglée. Ce pays a souvent revendiqué une histoire heureuse du «vivre ensemble» entre chrétiens de différentes obédiences (catholiques ou orthodoxes) et musulmans de traditions également diverses (chiites, sunnites ou druzes). Cela appartient davantage à ses «mythes fondateurs» qu'à la réalité historique. D'ailleurs, cette année 2010 correspond au cent cinquantième anniversaire d'un important massacre de chrétiens au Liban et en Syrie (en 1860 ) par des groupes de druzes, massacre à l'occasion duquel s'illustra, pour défendre les chrétiens, l'émir Abd-el-Kader l'Algérien alors exilé à Damas. Mais l'essentiel n'est-il pas que ce rêve de la paix interconfessionnelle habite toujours les individus? C'est dans ce contexte qu'il faut signaler la récente initiative du gouvernement libanais: l'instauration d'une nouvelle fête nationale où musulmans et chrétiens seront invités à célébrer ensemble la fête de l'Annonciation. Les musulmans et les chrétiens orthodoxes se voient ainsi appelés à se joindre désormais aux catholiques pour célébrer, en même temps qu'eux, la mémoire de la visite que fit l'Ange Gabriel à Marie pour lui annoncer qu'elle était désormais enceinte de l'enfant Jésus. Une fête fixée au 25 mars. Cette journée sera dorénavant chômée. Le Conseil des ministres libanais a pris cette décision après que des célébrations communes de la fête de l'Annonciation ont eu lieu, ces dernières années au Liban, dans un collège catholique jésuite de Jamhour qui compte des élèves ( et des anciens élèves ) musulmans comme chrétiens. L'une des personnalités libanaises les plus activement engagées dans l'instauration de cette fête est Cheikh Mohammad Nokkari, un alim sunnite, ancien secrétaire général de Dar el-Fatwa, et professeur à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. Le Vatican et l'Université d'al-Azhar ont, semble-t-il, donné leur accord pour la création de cette fête commune islamo-chrétienne. La Vierge Marie représente, en effet, une figure de rapprochement entre chrétiens et musulmans. Le Coran et l'Evangile attestent tous les deux de la conception miraculeuse de Jésus dans le sein de Marie. Mais on sait, aussi, que cet article de foi commun n'empêche pas un différend fondamental entre chrétiens et musulmans sur la nature du Christ. Instaurée par une autorité politique, cette fête va-t-elle recueillir l'adhésion d'une majorité de Libanais? Il faut le souhaiter, mais rien n'est encore gagné. Une fête ne devient pas populaire par simple « décret ». Il faut qu'elle corresponde réellement à une aspiration des gens. L'Annonce faite à Marie ne deviendra vraiment « fête » pour tous que si chrétiens et musulmans, maronites et sunnites, arméniens et chiites, etc, éprouvent vraiment le désir de vivre en paix sous le regard de Dieu.