Le peintre Bouchaïb Habbouli expose ses œuvres jusqu'au 28 février à l'Institut français de Casablanca. Intitulée “Figures“, la manifestation donne à avoir les tableaux d'un artiste parmi les excentriques dans le pays. Il peint avec bonheur des hommes auxquels il ajoute parfois des oreilles canines. Bouchaïb Habbouli est injoignable. Il refuse d'avoir un portable. Lorsqu'il disparaît dans la nature, il faut appeler un studio de photographie à Azzemour pour avoir quelques chances d'entendre sa voix. Il se déplace fréquemment à Rabat et Casablanca. Généralement, dans le dessein d'échanger une conversation avec ses amis peintres. Façon de rester informé des manifestations à venir, de ne pas sombrer dans l'oubli, même s'il tient à travailler et vivre dans une ville isolée : Azzemour. Bouchaïb Habbouli est un homme qui refuse de renoncer au privilège de demeurer difficilement joignable. C'est lui qui vient vers les autres, et non pas l'inverse. On ne peut pas lui parler quand ça ne lui convient pas. Pour son expo à Casa, il ne s'est pas déplacé à cette ville seulement pour le vernissage. Il revient chaque jour au hall de l'institut français. Il s'assoit sur un banc et regarde ses œuvres ou suit le regard que posent les visiteurs sur ses tableaux. L'homme ne fait pas partie de la race de ces solitaires qui fuient le commerce des hommes. Affable et truculent, il engage facilement la conversation. Ses yeux s'illuminent toujours lorsqu'il parle de ses tableaux. Ils dotent d'un éclat farouche les cheveux cendrés de l'intéressé, né en 1945 dans la ville à laquelle il tient plus que Diogène à son tonneau. Côté œuvres, Habbouli présente une série de portraits. Des Figures, corrige l'artiste. Leurs traits sont aplatis. Seuls les yeux dessinent des orbites reconnaissables. Dans ses portraits, l'intéressé utilise une technique mixte : des encres, de la peinture, des peaux qui moisissent… Il n'endigue pas la peinture. Il aime la laisser ruisseler. La texture de l'œuvre en met plein la vue, du point de vue de la matière. On sent la jubilation de l'artiste à avoir multiplié les creux, les reliefs, les nuances des couleurs, à laisser intervenir le hasard. D'ailleurs, cette jubilation prend une tournure franchement humoristique dans certains tableaux. Bouchaïb Habbouli a une grande qualité. Une qualité rare chez les peintres marocains : l'humour. Nombre de ses portraits entretiennent une parenté avec la race canine. Le peintre coiffe certains personnages de deux grandes oreilles pendantes. Pas moyen de se tromper : ce sont des oreilles d'un chien. L'effet est hilarant, et il atteste le bonheur de l'artiste à faire ses œuvres. Ceux qui connaissent Habbouli le savent : il ne se complique pas la vie, ne s'angoisse pas lorsqu'il est en face d'une toile immaculée. Il exerce son art dans la bonne humeur, ne cherche même pas à napper de mystère sa cuisine interne. Il est l'un des rares artistes à tout dire de la technique et des matières qu'il emploie. Ce bonheur de peindre ne signifie pas que cet artiste baigne dans la béatitude. Encore moins que ses tableaux soient aussi joyeux que la musique de Rossini. Certains donnent à avoir une image grise de la condition humaine. Bouchaïb Habbouli est amoureux de la peinture. Il cherche à engager son art dans de nouvelles voies. La dernière technique qui le préoccupe rappelle la sérigraphie, sans toutefois s'y limiter. Habbouli travaille désormais sur un support photographique. A l'instar de son autoportrait ou de l'œuvre qu'il a réalisée en hommage au peintre Mohamed Kacimi. Une nouvelle aventure heureuse.