Le basculement d'un sénateur républicain aux USA dans la majorité démocrate, sans qu'aucune loi ne vienne l'en empêcher, aura l'immense conséquence de neutraliser toute opposition au Sénat. La transhumance des élus s'est invitée comme sujet focal dans le débat des communales. A défaut de parler de démocratie locale ou du développement des communes, l'échéance gouvernementale de 2012, car c'est de cela qu'il s'agit, prend en otage le futur immédiat de nos villes et de nos régions par un thème qui en toute démocratie normale ne devrait même pas se poser. Un élu sous une couleur politique peut-il en cours de mandat électoral changer de boutique ? La loi sur les partis, dans l'article 5, a confusément répondu par la négative : Un député se doit de rester fidèle à sa chapelle tout au long d'une législature. Je ne suis pas juriste et moins encore constitutionnaliste. Je ne m'aventurerai donc pas sur ce terrain pour m'interroger sur la constitutionnalité de cette disposition. En revanche, je me sens entièrement autorisé au plan philosophico-politique à me demander si l'article 5 de la loi ne serait pas antidémocratique sinon franchement liberticide ? Depuis que le Parlement est Parlement, les députés nomades ont erré dans l'enceinte parlementaire au gré de leur boussole du moment. J'en conviens sans difficulté : Le phénomène, devenu fléau, peut être de nature à nuire à l'épanouissement de la démocratie. Mais relève-t-il de la loi et de l'interdiction ? Ou participe-t-il d'un trait culturel inhérent à notre degré de développement social, culturel, politique et économique et découle en conséquence d'un certain segmentarisme dans le fonctionnement de notre société, toujours en cours, et dont les appartenances partisanes n'arrivent pas à se défaire ? Moulay Ismaël Alaoui, secrétaire général du PPS, a raison d'inscrire, même à demi-mot, le nomadisme politique au Maroc dans ce cadre et considérer le phénomène comme tout à fait naturel au niveau sociologique. Il a tort, à mon sens, quand il n'en tire pas la seule conséquence logique qui en découle et préfère rejeter la transhumance au nom de l'éthique et exige son interdiction au nom de la loi. L'argument des partisans de l'interdiction repose sur une certitude invérifiable : La clause de conscience. En changeant d'étiquette politique en cours de mandat, l'élu trahirait la confiance des électeurs. Cette déduction suppose que le programme du parti détermine le vote. Est-ce toujours vrai ? Combien de partis peuvent réellement se targuer que c'est la caution qu'ils donnent à leurs candidats qui les porte à la députation et non l'inverse ? Chacun sait, chez-nous plus qu'ailleurs, que la relation personnelle à multiple facettes du candidat avec son électorat est pour beaucoup dans son élection. C'est pour cela que des partis jusque-là réfractaires à la méthode se sont mis à faire, sous le déguisement de l'ouverture, les yeux doux aux notabilités locales. Quant au programme qui serait à l'origine de l'adhésion populaire, il vaut ce que vaut la vie d'une rose. Souvent, l'accession d'une formation au gouvernement correspond à une suite de renoncements si ce n'est de parjures. Ailleurs rien n'a empêché, suite à des divergences, le sénateur français Jean-Luc Mélenchon de quitter les socialistes pour former son propre parti sans remise en cause de son mandat ni de sa latitude à se représenter. Plus édifiant, le basculement du sénateur républicain de la Pennsylvanie (USA), Arlen Specter, dans la majorité démocrate sans qu'aucune loi ne vienne l'en empêcher. Si comme prévu les amis d'Obama remportent le siège du Minnesota, cette défection aura des conséquences immenses : La neutralisation de toute opposition républicaine au Sénat.