Dans une conférence débat, mercredi à Casablanca, l'Egyptien Tarik Ramadan et le Marocain Abdelali El Amrani ont expliqué comment l'Islam s'est très bien accommodé, à travers l'histoire, avec les principes de rationalité et de lumière. Il demeure ouvert au dialogue des cultures et rejette l'exclusion et l'anathème. L'association Al Masar en partenariat avec la RAM a invité deux éminents conférenciers, Tarik Ramadan et Abdel Ali El Amrani Jamal, à s'exprimer sur la question de la laïcité dans les pays musulmans. « Quelle laïcité pour les pays musulmans ? » est le thème de cette conférence qui a eu lieu mercredi 26 décembre à la salle de conférence de l'Institut du transport aérien. L'intervention de El Amrani Jamal portait sur l'idéal de la civilisation en Islam. Cet historien de la pensée grecque et arabe a commencé par interroger les premières manifestations du mot laïcité. Dans la Cité grecque, la notion de laïcité était étroitement liée à la pensée philosophique, à l'essor de la rationalité. Donc dès son origine, cette notion s'opposait de façon plus ou moins nette à la croyance en les dieux. Elle a valu un destin tragique au philosophe Socrate qui avait blasphémé les dieux. El Amrani est revenu ensuite sur le sens erroné qu'ont pris certains mots au fil du temps. Il estime que les mots sont chargés culturellement, historiquement et qu'il convient toujours de les considérer stricto sensu avant de débattre de leurs significations. C'est ainsi que le mot verset lui semble très peu convenir aux « ayats » du « Coran ». Verset désigne de petits vers, des écrits en vers, et tout particulièrement les psaumes. De telle sorte que c'est un mot du répertoire chrétien qui a été appliqué à la religion musulmane. El Amrani préfère lui substituer le mot signe. L'idée principale que El Amrani a défendue avec beaucoup d'ardeur consistait à dire qu'avant le XVIIIe siècle la civilisation musulmane était fondée sur la philosophie, la science et la religion. La religion musulmane n'est pas opposée à la pensée critique. En témoignent les écrits de Al Ghazali et de Averroès. Tarik Ramadan a pris la parole ensuite, et quelle parole ! Un discours qui a envoûté l'auditoire pendant une demie-heure. Le conférencier est un redoutable rhétoricien, un rhétoricien qui s'exprime dans la langue de l'autre tout en maîtrisant parfaitement les moindres subtilités dans l'art de convaincre. La séduction du discours de Tarik Ramadan enrobe des idées d'une substance très vivifiante. Ramadan a commencé par dire qu'il faut cesser les approches essentialistes : la laïcité, c'est ça, et l'Islam ne peut être que cela. Il existe plusieurs modèles de laïcité qui diffèrent d'un pays occidental à l'autre, et la raison n'est pas incompatible avec l'Islam. À l'instar de El Amrani, Ramadan préconise aussi de s'arrêter sur les contenus sémantiques des mots. Il faut « un défrichage terminologique » pour situer les débats. Le terme laïcité n'a pas la seule acception communément admise : la séparation de l'église et de l'Etat. La sécularisation précédait la laïcisation. Et c'est un processus qui sépare le religieux du politique, le dogme du rationnel. Ramadan défend la rationalité dans la pensée musulmane. Il l'inscrit dans une tradition qui remonte manifestement à Al Ghazali. L'intelligence active et le doute sont indissociables de la tradition musulmane. L'idée conductrice du discours de Tarik Ramadan est celle-ci : il existe un principe commun et des modèles diversifiés. Son argumentation est fondée sur l'opposition du principe au modèle. En d'autres termes, si le principe est un, le modèle ne peut appartenir à personne. On peut produire selon un principe, qui serait celui de l'intelligence, de la pensée critique, plusieurs modèles. La laïcité ne constitue pas un principe, mais un modèle. Un modèle entre mille autres, tous se valant les uns les autres. Il recommande par conséquent de partir des principes propres à la pensée musulmane pour dégager des modèles, et non pas emprunter un modèle à l'Occident. Le retour aux sources est une nécessité selon Ramadan. Mais ce retour ne doit pas chercher un modèle de société qui remonte à 1000 ans, mais le principe qui fondait cette société. C'est moyennant une réelle connaissance de l'histoire musulmane, un retour aux textes que les Musulmans ne seront plus à « la périphérie », mais pourront construire des modèles de société avec des principes qui sont les leurs.