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Les Conseillers de Sa Majesté le Roi sortent de leur mutisme
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 09 - 11 - 2007

L'intervention prétendue des Conseillers de SM le Roi dans la constitution du gouvernement El Fassi a relancé le débat sur leur véritable rôle et sur les limites de leur mission. Abdelaziz Meziane Belfkih et Mohamed Moatassim, proches collaborateurs du Souverain, posent les vrais termes du débat.
ALM : Quel a été réellement votre rôle, en tant que Conseillers de SM le Roi, dans la constitution du gouvernement ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : Le conseiller de Sa Majesté le Roi joue le rôle de relais et de messager. Il n'est nullement un passage obligé entre Sa Majesté le Roi et son Premier ministre. Lors de la formation du gouvernement, les Conseillers ont rempli, sur ordre de Sa Majesté, le rôle de messagers fidèles auprès du Premier ministre désigné et inversement, lorsque celui-ci l'avait explicitement souhaité. Il ne s'agit aucunement d'un rôle d'influence, ni d'orientation ni de décision, en ce qui concerne les candidats ou les partis. Les contacts et les rencontres des Conseillers avec le Premier ministre désigné se sont d'ailleurs déroulés dans un climat de respect mutuel, de responsabilité et de bonne foi. En définitive, la prérogative de soumettre à l'appréciation de Sa Majesté le Roi la proposition finale de l'équipe gouvernementale revient au Premier ministre désigné qui l'a exercée avec un sens élevé de responsabilité. Dans le cas d'espèce, et conformément aux instructions Royales, la mission des Conseillers était limitée à la facilitation des démarches du Premier ministre désigné, une telle mission s'effectue, soit à travers les rapports portant sur le déroulement du processus, soit par le biais des notes, messages ou propositions que le Premier ministre nommé souhaite explicitement soumettre à l'appréciation du Souverain.
Quel est votre avis sur le processus de formation du gouvernement ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : Comme chacun le sait, la nomination du Premier ministre et la formation du gouvernement ont eu lieu suite à un processus électoral transparent et dans le strict respect des usages démocratiques consacrés. Le gouvernement a été formé conformément aux dispositions de l'article 24 de la Constitution et sur la base d'une démarche démocratique saluée par tout le monde, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Une nouvelle avancée a ainsi été réalisée par notre pays dans le processus, certes long et ardu, d'édification démocratique.
Cela veut-il dire que le Premier ministre désigné n'était tenu d'aucun type d'orientations, même Royales ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : Les orientations Royales au Premier ministre désigné étaient claires, l'objectif étant d'allier représentativité démocratique et haut niveau de compétence. Sa Majesté a insisté sur le besoin de former un gouvernement ouvert, cohérent, efficace et orienté –dans sa structuration- vers les grands dossiers de la nation. Un gouvernement d'action, composé de pôles bien définis et garantissant une représentation appropriée des jeunes et des femmes. Un gouvernement à la hauteur des enjeux qui attendent notre pays.
Qu'en est-il du pouvoir constitutionnel de nomination des membres du gouvernement par Sa Majesté le Roi ?
Mohamed Moatassim : Ce pouvoir ne peut, sur un plan juridique ou pratique, se réduire à un acte formel. En effet, le Roi est garant du bon fonctionnement et de l'équilibre des institutions, et veille à la réussite et à la crédibilité du processus de formation du gouvernement, dans le respect de la Constitution et de la volonté des électeurs. Sa Majesté le Roi, Amir Al Mouminine, Représentant suprême de la nation, est garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat, du respect des constantes, des droits et des libertés, dans le cadre d'un projet de société auquel adhèrent toutes les composantes de la nation.
Comment se déploie concrètement cette prérogative Royale au moment de la formation d'un nouveau gouvernement ?
Mohamed Moatassim : La question dépasse la simple acception technique de la prérogative, en renvoyant au concept transcendant de la Amana au sens politico-religieux fondé sur le lien réciproque de la Baia; acte sacré que Sa Majesté le Roi assume constamment en veillant sur les intérêts suprêmes de la Nation et sur l'essentiel, lors du processus de formation du gouvernement, cette mission est assumée soit à travers des rencontres et des contacts directs avec le Premier ministre désigné, soit en chargeant Ses Conseillers d'entretenir ces contacts ou d'effectuer des missions spécifiques et déterminées.
On reproche au processus sa complexité et sa «lenteur». Qu'en est-il au juste ?
Mohamed Moatassim: Normal qu'il y ait des va-et-vient dans le processus de formation du gouvernement, qui a été engagé dans le cadre de l'exercice de la démocratie. Normal, parce que le verdict des urnes n'a pas permis à un seul parti de disposer de la majorité au Parlement. Ce qui aurait faciliter à un Premier ministre désigné, chef d'une forte majorité électorale, la tâche de former un exécutif en quelques jours parmi les membres d'un «shadow cabinet» (gouvernement de l'ombre) que l'on aurait trouvée au sein des partis et du Parlement, comme c'est le cas dans certaines démocraties avancées. Il importe donc aux institutions et aux acteurs concernés de poursuivre et de consolider la mise à niveau de l'action politique dans notre pays, au lieu d'entretenir l'illusion d'un prétendu «gouvernement de l'ombre» de la Cour, qui n'a, en fait, aucune existence institutionnelle.
D'ailleurs, Sa Majesté le Roi n'en a nullement besoin car il existe un gouvernement constitutionnel avec lequel le Souverain travaille ouvertement, toujours dans le cadre de la Constitution. Normal, parce qu'il s'agit d'une coalition de partis qui doivent se référer à leurs instances dirigeantes, et prendre le temps qu'il faut pour négocier leur participation au gouvernement. Normal, enfin, que des équilibres soient recherchés : rajeunissement, féminisation, exigence de compétence et d'efficacité, respect du poids électoral et politique… En termes de délais, le nouveau gouvernement n'a pas pris plus de temps pour sa constitution que des gouvernements précédents. C'est notre attitude vis-à-vis du temps qui a peut-être changé : on est devenu plus exigeant dans notre rapport au temps, et c'est plutôt une bonne chose; car la modernité commence par une gestion optimale du temps.
On vous attribue généralement un rôle encore plus influent que celui qui est dévoulu à un Conseiller du Roi ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : Malheureusement, on prête aux Conseillers un pouvoir et une influence qu'ils n'ont pas. Il est une évidence que l'excès est l'ennemi de la vérité et que lorsque la vérité est travestie ou occultée, le premier à en pâtir, c'est le droit du citoyen à une information sûre et fiable. On le sait : tout ce qui est excessif devient vite insignifiant.
Mohamed Moatassim : A cet égard, et sans préjudice ou atteinte au secret professionnel et à la discrétion inhérente à leur mission spécifique, les Conseillers sont disposés à communiquer avec les médias lorsque cela est nécessaire. Par conviction et engagement démocratiques, ils estiment qu'une presse professionnelle, sérieuse et respectueuse de la loi et de l'éthique se doit normalement de vérifier ses informations auprès des premiers concernés et éviter de faire l'amalgame entre pures supputations et faits vérifiables. Les conseillers du Roi sont, aussi et avant tout, des citoyens ordinaires qui ont comme toute femme et tout homme le droit au respect de leur honneur et de leur dignité.
Abdelaziz Meziane Belfkih : L'on devrait également se méfier, à cet égard, de la tentation facile, consistant parfois à faire des Conseillers un bouc émissaire et de leur prétendu pouvoir un alibi et une justification. Il va de soi que le Conseiller de Sa Majesté le Roi n'est ni un acteur autonome ni une autorité, et encore moins une institution.
Avez-vous une obligation de réserve pour parler aux médias ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : Il importe de souligner, de prime abord, que notre initiative de parler aux médias intervient après Haute autorisation de Sa Majesté le Roi, qui a bien voulu accéder à la demande de ses Conseillers de pouvoir éclairer l'opinion publique à ce sujet. Une double motivation préside à cette démarche : elle est faite, d'abord, dans un souci de clarté et de transparence. Elle est motivée, ensuite, par un devoir d'explication. C'est un exercice utile pour une pratique politique et démocratique saine. Car, de même qu'il est attendu des médias de faire preuve de professionnalisme, il est naturellement du devoir des responsables publics d'expliquer et de clarifier les choses. Il faudra effectivement appréhender un tel exercice en relation avec l'obligation de réserve qui incombe aux Conseillers de Sa Majesté le Roi. Ce devoir de réserve est, en effet, inhérent à nombre de fonctions supérieures, dont celles des Conseillers de Sa Majesté le Roi. Ceux-ci, en proches collaborateurs du Souverain, sont tenus, bien entendu, de rendre compte exclusivement à Sa Majesté le Roi. Cependant, face à la focalisation excessive sur le rôle et les fonctions des Conseillers de Sa Majesté le Roi, il est devenu nécessaire d'éclairer l'opinion publique, de lever les ambiguïtés et de ramener les choses à leur juste mesure.
Mohamed Moatassim : Nous avons voulu faire cette clarification dans la sérénité, c'est-à-dire après que le gouvernement ait présenté sa déclaration et qu'il ait obtenu la confiance du Parlement. Elle est faite avec beaucoup de responsabilité, dans une démarche vertueuse sans verser dans la polémique, ni chercher à l'alimenter.
Pourquoi cette clarification n'est-elle pas intervenue au cours du processus de formation du gouvernement ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : La perception d'une insuffisance dans la communication concomitante à la formation du gouvernement, appelle deux précisions. S'agissant des Conseillers du Roi, leur mission les astreint au devoir de réserve systématique, indissociable de leur fonction de collaborateurs de Sa Majesté le Roi. De ce fait, les Conseillers n'avaient pas à étaler publiquement les démarches et les contacts dont ils pouvaient être ponctuellement chargés. D'autre part, et de façon générale, toute communication, au cours d'un processus complexe comme celui de la formation d'un gouvernement, doit avoir principalement pour finalité de réunir les conditions de réussite d'un tel processus. En tout état de cause, tout doit dépendre de la stratégie de communication du Premier ministre désigné et de ses partenaires politiques.
A quoi sert, finalement, un Conseiller du Roi ?
Mohamed Moatassim : Le Conseiller est tout simplement un collaborateur de Sa Majesté le Roi. Son action s'exerce sur ordre et à la haute attention du Souverain. Les périmètres de la mission et de l'action du Conseiller sont ceux définis par le Roi à son Cabinet.
L'action du Conseiller s'inscrit également dans le cadre de la ferme volonté Royale, maintes fois réitérée, de permettre à l'ensemble des institutions constitutionnelles et aux différents acteurs de la vie politique nationale d'exercer pleinement les prérogatives qui leur sont dévolues par la Constitution et d'assumer leurs responsabilités. En parlant justement du rôle de chacun des acteurs, Sa Majesté le Roi a clairement souligné, dans le dernier discours d'ouverture du Parlement : «Rien ne saurait s'y opposer, si ce n'est les limites qu'imposent la Constitution, la séparation des pouvoirs et l'équilibre entre eux, ainsi que la coopération qui doit exister entre ces pouvoirs, et que Nous veillons à voir raffermie et consolidée». Il est vrai que le Conseiller peut être aussi un personnage public, à l'instar des membres du cabinet de tout chef d'Etat, mais il n'en reste pas moins, comme cela a été déjà souligné, que le Conseiller n'est ni une institution ni une autorité et encore moins un acteur politique indépendant.
Quelles sont les exigences déontologiques qui doivent guider le travail du Conseiller ?
Abdelaziz Meziane Belfkih : Il existe bien une véritable «éthique du métier de Conseiller». Elle est faite d'un corpus de valeurs et d'une déontologie de l'action : valeurs de loyauté, d'abnégation, de discrétion, d'impartialité, de transcendance des conjonctures politiques, de travail sur les dossiers de fond, inscrits dans la durée. Imprégnés de cette éthique, les Conseillers agissent dans le strict respect de la loi et des institutions. La mission du Conseiller se limite à l'examen des dossiers dont il est chargé et au devoir de rendre compte à Sa Majesté le Roi, et à Lui seul, en toute loyauté et impartialité, avec un sens constant de l'intérêt général et dans le strict respect des Hautes directives Royales. Dans ses missions publiques, qui se déploient sous forme de contacts, d'interventions ou de prise de parole, le Conseiller de Sa Majesté le Roi joue un rôle systématiquement subordonné à l'existence d'un besoin réel et motivé par la réalisation d'une valeur ajoutée.
Est-ce à dire, dans ces conditions, que le Conseiller ne fait pas de politique ?
Mohamed Moatassim : Bien entendu, le Conseiller peut être amené, dans le cadre de ses missions et sous la Haute autorité Royale, à faire de la politique au sens noble du terme, je veux parler de la «Politique» avec un grand «P», qui signifie dévouement pour la chose publique et pour les grandes questions qui intéressent la collectivité. En tout cas, ça dépend du sens que l'on entend par politique. Si vous entendez par là la politique politicienne, avec son lot d'agitations, elle est incompatible avec la mission du Conseiller. En revanche, si l'on entend par politique, l'engagement partisan exercé dans le cadre de la compétition démocratique légitime et légale, il est clair que celle-ci dispose de ses propres professionnels, institutions et acteurs auxquels on doit du respect et va à l'encontre de la mission et de la déontologie qui sont celles du Conseiller du Souverain.
Abdelaziz Meziane Belfkih : Le Conseiller est un haut commis de l'Etat. Il fait partie des responsables qui tirent leur légitimité de la nomination Royale. Son périmètre d'action se situe, par définition, en dehors de la sphère politique et partisane. Le Conseiller doit assumer pleinement ses responsabilités, tout en se mettant à l'abri de toute influence ou instrumentalisation.
Abdelaziz Meziane Belfkih et Mohamed Moatassim,
parcours de deux proches collaborateurs du Souverain
Les deux Conseillers de SM le Roi ne sont plus à présenter. Abdelaziz Meziane Belfkih a été, depuis décembre 2003, à la tête du comité directeur chargé de l'élaboration du rapport sur les 50 ans de l'Indépendance. Ingénieur «Ponts et Chaussées», ce natif de Taourirt, en 1944, est un homme connu par son acharnement à la tâche. Cadre des Travaux publics depuis le début de sa carrière, il sera ministre de l'Agriculture, de l'Equipement et de l'Environnement, et puis d'une combinaison des trois. Conseiller royal, il sera de tous les défis. C'est à lui qu'on doit l'idée de la rocade méditerranéenne. En 1998, il est directeur du projet de liaison à travers le détroit de Gibraltar. Une année après, il prend en charge la direction de la COSEF, c'est à lui que reviendra la charge de présider la Fondation Mohammed VI pour la Promotion des œuvres sociales de l'éducation et de la formation. Mohammed Moatassim est un constitutionnaliste chevronné, professeur de droit et fin connaisseur de l'affaire du Sahara. Ce natif de Settat en 1956, soutient, en 1988, une thèse d'Etat en sciences politiques sur le thème «L'évolution traditionaliste du droit constitutionnel marocain». Il est nommé en 1993 ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement. En 1995, il intègre le Cabinet royal en tant que chargé de mission. Quatre ans plus tard, il est nommé en tant que Conseiller de Sa Majesté le Roi. M. Moatassim est membre du CCDH, il est auteur de plusieurs ouvrages, notamment «L'expérience parlementaire au Maroc», «Le régime politique marocain 1962-1991» et «Les régimes politiques contemporains».


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