Esther Benmaman a choisi le terme «Racines» pour ses œuvres de peinture exposées ces derniers jours à Buenos Aires sous le patronage de l'ambassade du Maroc. L'artiste peintre, qui immortalise dans ses toiles sa fidélité à sa terre marocaine et à sa mémoire séfarade, est née en 1943 à Tétouan. Elle y fait ses premières classes à l'Ecole des beaux-arts avant de partir, en 1964, pour Buenos Aires pour poursuivre ses études. Ses œuvres, environ une trentaine, décrivent des situations vécues, des scènes quotidiennes et un monde imaginaire rempli de sensations et de pensées, de suggestions et d'idées puisées dans la mémoire historique, et surtout, dans l'âme de l'artiste. Ses émotions sont à peine voilées sur la toile, la nostalgie et les souvenirs soudainement rafraîchis, éveillent le besoin irrésistible de redécouvrir pour conter ses racines. Dans chacune de ses œuvres, l'artiste invoque une réponse à ses inquiétudes. Elle y évoque le petit monde de son enfance peuplé de beaux souvenirs : tapis, bijoux, habits et une multitude d'objets symbolisant à la fois l'intimité du foyer, les pactes bibliques, les liens et les alliances, les amulettes, la culture et les traditions… Un monde où le mystique et le rationnel se côtoient pour constituer le substrat d'une identité juive frappée du sceau marocain indélébile, une identité modelée sous la clarté du ciel méditerranéen, de la convivialité, de la paix et de l'amour. L'œuvre d'E. Benmaman est en fait un poème lyrique qui aiguise les sens, stimule la réflexion, exalte la beauté de l'âme et l'harmonie des sens. Chaque symbole y acquiert la force du subliminal et de l'immuable. L'artiste peint le J'bel Ghorghis, symbole de la forteresse et de la solidité de ses racines tétouanaises, la majestueuse vallée du Draâ, où se confondent l'être et la nature, les rues austères, les portes fragiles qui séparent le monde extérieur de la chaleur intérieure des demeures des médinas. L'écrivain française Hélène Gutkowski, auteur de l'ouvrage, «Il était une fois à Séfarade», parle d'une prise de conscience saisissante de cette artiste qui répond «par la magie de sa peinture au mandat de ses racines, à l'émotion de son vécu» pour préserver et transmettre aux générations futures l'amour à ses racines. «Les êtres et les choses, les intérieurs, la lumière, la terre… Elle nous situe dans l'intimité de la vie juive du nord du Maroc et à la fois dans son environnement», écrit l'écrivain établi depuis une trentaine d'années en Argentine. Elle poursuit en soulignant que le dessin d'Esther, sa maîtrise de la forme et du mouvement, ses textures sont les piliers de cet art intimiste qu'elle rechausse par une palette aux tons chauds. L'ocre de la terre revient très souvent, cet ocre qui est feu et passion mais aussi chaleur humaine présence de l'autre. Pour Hélène Gutkowski, l'œuvre d'Esther est teinte de l'exotisme du Maroc qui a fasciné nombre de peintres avant elle, mais sa peinture se distingue des autres car elle naît du vécu de l'artiste, de ses entrailles, de sa fibre juive. L'auteur de «Il était une fois à Séfarade», ouvrage de 450 pages qui vient d'être réédité en Argentine et dont une traduction paraîtra l'an prochain en France, a donné, le 28 novembre, une conférence en marge de l'exposition d'Esther sous le thème «Le monde judéo-andalou du Maroc ? une culture de la fidélité et du symbolique» permettant de rafraîchir la mémoire d'une assistance nombreuse de Juifs marocains établis en Argentine.