La coïncidence, fortuite, entre la tenue du Sommet arabe de Riyad et l'aggravation de la crise politique en Israël pourrait conduire le Premier ministre israélien à faire preuve de pragmatisme. En donnant une suite favorable à la requête déposée par une députée pacifiste de gauche, la Cour suprême israélienne a ordonné à la Commission Winograd de publier les procès-verbaux des auditions, devant ses membres, du Premier ministre Ehud Olmert, du ministre de la Défense, Amir Peretz et du chef d'état-major de l'époque, Dan Haloutz, avant la date limite du 2 avril marquant le début de la Pâque juive (Pessah). Contrainte de s'exécuter, la Commission a d'ores et déjà commencé à divulguer la teneur des dépositions faites par plusieurs personnalités politiques et militaires de premier plan, en particulier celles du vice-Premier ministre Shimon Peres et de l'ancien chef des renseignements militaires, le général Amos Malka. Leurs dépositions laissent entendre que les conclusions de la Commission Winograd pourraient être très sévères pour Ehud Olmert, Amir Peretz et Dan Haloutz. A tel point qu'Aluf Benn, l'analyste renommé du grand quotidien libéral Haaretz, estime que le drapeau noir, indiquant un état d'alerte maximale, est désormais déployé au-dessus de la tête du Premier ministre. Celui-ci pourrait payer cher sa décision d'avoir déclenché, le 12 juillet 2006, après l'enlèvement de deux militaires israéliens par le Hezbbollah, une vaste opération de représailles contre le Liban qui s'est soldée par une «guerre de 33 jours» et l'échec de Tsahal face à la milice chiite. Selon les dires mêmes de Shimon Peres, rapportés par l'analyste, c'était une erreur dont le Prix Nobel de la paix se démarque très nettement : «Si cela n'avait tenu qu'à moi, nous ne serions jamais entrés en guerre. Définir comme objectif de la guerre la libération de nos prisonniers nous a mis à la merci de nos ennemis». Il ajoute amèrement : «Nous n'avions pas d'objectif de guerre parce que nous ne pouvions pas déclencher une guerre». Plus grave, il n'hésite pas à affirmer : «Je savais que Tsahal, l'armée israélienne, n'était pas prête pour la guerre». Ce constat sévère a été largement repris, dans sa déposition, par le général Amos Malka, dont le père est d'origine marocaine. L'ancien chef des renseignements militaires n'a pas caché qu'il était hostile au déclenchement d'opérations aériennes massives contre Beyrouth et sa banlieue, ainsi qu'à l'intervention d'unités terrestres au Sud-Liban. Pour une seule raison : enlisée dans les opérations de répression de la seconde Intifada, Tsahal, avait perdu, selon lui, sa combativité. Il a expliqué que, faute d'un entraînement adéquat, «ses hommes n'étaient pas prêts au combat cependant que leurs chefs procédaient, par arrogance ou paresse intellectuelle, à une mauvaise analyse de la situation». Pour Amos Malka, en juillet 2006, Tsahal est entrée en guerre «comme s'il s'agissait d'une simple opération sécuritaire de routine». Plus grave, elle a imposé ses choix et ses «solutions» aux hommes politiques alors que c'était l'inverse qui aurait dû se produire. C'est aux civils, plus expérimentés en matière politique, de dicter leur conduite aux militaires. Pour Shimon Peres, cette accumulation d'erreurs et de maladresses a eu des conséquences politiques et diplomatiques de première importance : l'affaiblissement d'Israël sur la scène régionale et la remise en cause de son «droit à l'existence ». Pour le vice-Premier ministre, le conflit de l'été dernier «a contribué à diminuer notre pouvoir de dissuasion et à affaiblir notre position vis-à-vis du monde arabe. Cela se traduit par notre délégitimation. Avant la guerre, le monde arabe avait plus ou moins accepté notre existence comme un « fait accompli». Cette position a reculé. Avant, Israël était un problème pour le monde arabe. Maintenant, c'est le monde arabe qui est un problème pour Israël ». De fait, l'échec subi par Israël a fait resurgir chez certains intellectuels palestiniens et arabes l'idée d'une solution définitive du conflit passant par la création d'un «Etat binational», où la minorité juive vivrait aux côtés de la majorité arabe et non par la coexistence de deux Etats, l'un israélien, l'autre palestinien, permettant à chacun des deux peuples concernés de satisfaire ses aspirations nationales et politiques.