Aujourd'hui, le monde entier célèbre la Journée de soutien aux victimes de la torture. Sur ce chapitre, le Royaume a franchi un pas important en criminalisant cette pratique. Mais beaucoup reste à faire, d'après Mohamed Sektaoui, DG d'Amnesty-Maroc. ALM : Vous venez de saisir les autorités sur la torture au Maroc. Quelles sont vos revendications ? Mohamed Sektaoui : A la veille de la Journée de soutien aux victimes de la torture, que le monde entier célèbre aujourd'hui, nous avons jugé opportun d'adresser aux autorités, ainsi qu'aux organismes officiels chargés des droits de l'Homme, une lettre dans laquelle nous formulons le souhait que le Royaume, devenu membre du Conseil des Nations unies pour les droits de l'Homme, franchisse un nouveau pas en adoptant le Protocole facultatif annexé aux précédents accords de l'ONU sur la lutte contre la torture. Nous avons saisi, à cet effet, le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur, le ministre de la Justice, le président du Parlement, le président de la Chambre des conseillers, le président du CCDH et M. wali Al Madalim. Nous avons appelé ces responsables à faire en sorte que le Maroc rejoigne les pays ayant adopté ce Protocole entré en vigueur le 22 juin courant et ayant pour objectif d'interdire la torture, les traitements et les sanctions cruelles, inhumaines et humiliantes, par la mise en place de structures de contrôle autorisées à effectuer des visites inopinées dans les centres de détention des pays signataires. Cette tâche incombe à des structures nationales, que les pays membres s'engagent à mettre en place. Nous sommes convaincus que cette mesure aura des effets dissuasifs sur la pratique de la torture, sachant qu'elle permet à des structures nationales indépendantes de procéder à des contrôles-surprise sur les lieux de détention. Outre l'adoption dudit Protocole, nous demandons au gouvernement de prendre des mesures efficaces en vue d'appliquer les conventions internationales relatives à la lutte contre la torture, mettre en place des accords de partenariat avec les acteurs de la société civile pour l'élaboration de programmes d'éducation et de sensibilisation sur les droits de l'Homme. Nous sommes persuadés qu'en appliquant ces mesures, notre pays, membre du Conseil de l'ONU pour les droits de l'Homme, aura donné un contenu fort à ses engagements internationaux. En octobre 2005, une loi criminalisant la torture avait été adoptée par le Parlement. Pensez-vous que cette initiative est insuffisante ? On peut considérer que cette loi est un pas important dans le cadre de la réforme législative et le renforcement des garanties juridiques de prévention contre la torture. Nous avons déjà salué l'adoption de cette loi qui considère la torture comme un acte criminel prévoyant par la même occasion des sanctions pénales pour de longues durées. Nous avons accueilli avec le même intérêt la reconnaissance par le Maroc de la disposition de la commission de l'ONU chargée de la lutte contre la torture à procéder à des enquêtes sur la base des plaintes déposées par les victimes. Que pensez-vous également des efforts déployés par l'IER pour tourner la sombre page des années de plomb ? Vous auriez sans doute constaté qu'Amnesty International consacre dans son rapport annuel une partie spéciale au Maroc. Dans ce cadre, on peut remarquer qu'AI a enregistré avec beaucoup de satisfaction les développements positifs que le Royaume a accumulés sur le chapitre des droits de l'Homme, je pense particulièrement au travail de l'Instance Equité et Réconciliation. Mais, en même temps, AI a déploré quelques dépassements relevés dans la foulée de la lutte contre le terrorisme, conduite par les Etats-Unis. Je vous renvoie à la déclaration d'un enquêteur relevant du Parlement européen, quand il a révélé que certaines personnes dont les Etats-Unis sous-traitaient la détention en Europe avaient été transférées vers l'Afrique du Nord. Un ex-prisonnier éthiopien, dénommé Benyam Mohamed Al Habachi, a révélé pour sa part qu'il avait été transféré par les Etats-Unis d'une prison en Europe vers un centre de détention marocain. Selon le témoignage de cet ex-détenu, arrêté en 2002 au Pakistan dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, les autorités marocaines auraient fait usage de torture à son encontre avant de le transférer vers la prison de Guantanamo, à Cuba. Pourriez-vous nous définir le concept de la torture ? Et nous citer, à titre illustratif, des cas perpétrés au Maroc contre des concitoyens ? Selon la convention internationale de lutte contre la torture, est considéré comme torture tout acte susceptible de porter préjudice et susciter la douleur chez toute personne. D'après cette convention, cela est considéré comme un acte criminel passible de sanction. En ce qui concerne les cas de torture enregistrés au Maroc, plusieurs allégations font toujours état de la pratique de la torture dans les locaux de la police.