Si la culture du cannabis dans le Rif génère des revenus annuels qui se chiffrent en milliards de dollars au plan international, les agriculteurs, eux, n'en récoltent que des miettes. Sur le plan social, l'enquête révèle qu'environ 800 000 personnes vivent des revenus générés par cette culture. Pour leur procurer d'autres sources de revenus, et partant lutter contre ce phénomène, le Maroc s'est engagé dans un plan de développement des provinces du Nord enclavées et longtemps marginalisées. Cette région, le Rif, s'étend sur 20 000 km2 et comprend les provinces de Tétouan, Chefchaouen, Al Hoceïma et Nador. Bien que cette région ait été longtemps la principale zone d'émigration dans les années 1960 et 1970, elle connaît la plus forte densité démographique du Maroc, soit près de 130 habitants au km2, dont 80 % vivent dans la campagne, avec des pics de 200 voire 300 habitants au km2 dans certaines zones rurales. Pour se rendre compte encore plus de l'ampleur des problèmes sociaux qui se posent à cette région, il faut savoir que le Rif a un taux d'accroissement de 3,6 % et une moyenne de 7 enfants par foyer (50 % de la population a moins de 15 ans). Cette population devrait encore doubler d'ici 15 à 20 ans. Les indicateurs sociaux du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) concernant le Maroc sont au rouge pour cette région : depuis 20 ans, les domaines de la santé et de l'éducation ne s'y sont pas améliorés, alors que le taux d'accroissement de la population y est très élevé. La mortalité infantile y est préoccupante avec 45 décès sur mille enfants de moins de cinq ans. Non seulement le cannabis a participé à fixer une partie des ruraux dans la région, mais il est également à l'origine d'un mouvement de retour de gens qui s'étaient installés à Tanger ou à Tétouan. La culture de cannabis attire chaque été de nombreux marocains, venus de toutes les régions du pays pour trouver un emploi au moment de sa récolte. Le caractère illégal de cette culture fait que les revenus qu'elle procure sont sans aucune commune mesure avec ceux des cultures vivrières ou de rentes légales. En outre c'est un produit non périssable que l'on peut écouler à domicile, toujours sûr de trouver preneur. Le cannabis est de 12 à 46 fois plus rentable que les cultures de céréales, par exemple. C'est pourquoi, les agriculteurs ont tendance à abandonner les cultures vivrières pour tout acheter au souk ( lait, viande, légumes,œufs, huile, etc.…). Il en résulte que le Rif devient déficient en aliments dont les prix flambent. À telle enseigne que les paysans s'endettent saisonnièrement auprès des trafiquants qui leur avancent de l'argent lorsqu'ils sont producteurs de kif. D'où leur vulnérabilité. On peut citer à volonté l'ampleur des blocages sociaux qui rendent les Rifains dépendants du cannabis. Simplement pour rappeler que son éradication n'est possible que dans le cadre d'un programme d'activités de substitution de grande ampleur, à même d'améliorer la qualité de vie et le niveau des revenus des cultivateurs qui en dépendent.