«Quand j'étais au Brésil, j'ai vu des écoles de samba et de candomblé. Chose que nous n'avons pas alors que nous avons une portée culturelle alliant tagnaouite, tajilalite, tahemdouchite, etc. Cela mérite l'existence de plusieurs écoles, voire un musée». Qu'est-ce que cela fait pour un artiste de monter sur scène pour la première fois après la crise de Covid ? Une question que nous avons posée à des maâlems gnaoua en marge de la répétition générale, vendredi soir à Essaouira, d'une soirée célébrant cet art ancestral déclaré, peu de temps avant la pandémie, patrimoine de l'Unesco. Un grand événement dédié, pour la première fois, par l'association Yerma Gnaoua et la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT) à ces maîtres de la «tagnaouite». Pour en savoir plus sur le ressenti de ces artistes, nous sommes partis à leur rencontre dans les coulisses. La joie de se rassembler pour «un nouveau départ» Aux yeux du mâalem Abdeslam Alikane, le fait de se rencontrer et se rassembler de cette manière et de rendre des hommages, après la pandémie qui a emporté des maâlems et créé des craintes, compte énormément. «Les maâlems sont très contents», s'exprime l'artiste, également président de l'association. Quant à cette grande œuvre, elle est, tel qu'il le précise, le résultat d'un travail fait après des cumuls d'œuvres, notamment depuis environ 23 ans que le festival, fondé par Neila Tazi, est organisé. «Nous avions toujours l'ambition d'organiser une telle rencontre», poursuit-il en laissant entendre qu'il était temps de la célébrer après cette reconnaissance de l'Unesco. Et ce n'est pas tout ! Cette soirée sera, pour lui, «tel un nouveau départ». Une manière, à son sens, d'inciter «le ministère de tutelle et les responsables à s'intéresser à la culture de notre pays». Par l'occasion, il ne manque pas de donner l'exemple de ses déplacements à l'étranger. «Quand j'étais au Brésil, j'ai vu des écoles de samba et de candomblé. Chose que nous n'avons pas alors que nous avons une portée culturelle alliant tagnaouite, tajilalite, tahemdouchite, etc. D'ailleurs, le répertoire de tagnaouite est d'origine africaine mais quand il est arrivé au Maroc, il s'est inspiré aussi de tahemdouchite, tajilalite et taderkaouite. Cela mérite l'existence de plusieurs écoles, voire un musée», détaille-t-il. Aussi, il raconte ses rencontres avec des maâlems de la musique du monde qui découvrent le guembri «composé de deux cordes et demie qui les transportent». «L'instrument n'est pas soumis en entier à des règles musicales qui ne peuvent être écrites. C'est ce qui fait notre fierté», s'exprime-t-il. Le ressenti d'un gnaoui et boucher à la fois A son tour, le maâlem marrakchi Ahmed Baâlil est content tout comme les autres artistes. Pour lui, ce concert est comme «une porte qui s'ouvre». «C'est aussi un grand honneur de faire revivre notre musique et art. Les organisateurs nous ont beaucoup aidés et nous ont tout préparé malgré quelques contraintes», enchaîne-t-il. Dans ce sens, il énumère l'absence d'un grand public qui donne de l'enthousiasme aux artistes sur scène. «Mais ce n'est pas grave. Ce qui importe c'est que nous avons joué ensemble. C'est cette union qui fait notre force», tempère-t-il. A propos du contexte pandémique, il indique que ces deux dernières années, il y a des gnaoua qui ont cet art comme seule source de revenus et d'autres qui ont des ressources parallèlement. «Pour ma part, je suis également boucher. J'ai hérité de la tagnaouite et de ce métier. Ceux qui n'ont pas de moyens ont bataillé. A mon tour, j'ai souffert malgré mon métier mais j'ai pu surmonter les effets de cette pandémie avec l'aide divine», raconte-t-il. Interrogé sur la différence entre les veillées «rbatia», «chamalia», «sebtya» et «marssaouia», il explicite qu'elle réside dans «l'accent». En dépit de cette dissemblance de cultures, les gnaoua de tout le Maroc ont pu se produire ensemble le temps d'un spectacle qui sera diffusé par la SNRT en décembre. A voir et à revoir !