Etendre l'idée à un niveau plus large, donner un micro à tout le monde, «évacuer» pourraient peut-être guérir un peuple tout entier . En partant de l'idée que le meilleur contrôle des émotions passe par leur expression. On comprendrait mieux la valeur des micros qu'on a donnés aux victimes des années de plomb. Les émotions enfouies de ces victimes torturées et humiliées par tout un système peuvent remonter à la conscience, à l'occasion d'événements qui ressemblent plus ou moins à celui qu'on a refoulé et qu'on a pas pu évacuer pour entrevoir un horizon meilleur. Les choses difficiles de la vie et en particulier une injustice vivement ressentie,s'accompagnent nécessairement d'émotions qu'il est salutaire de reconnaître et d'exprimer : exprimer permet de garder notre vitalité,d'avoir accès à notre réservoir d'énergie psychique, à notre flamme vitale. Il est impossible de tuer ses émotions « négatives », sans étouffer dans le même mouvement ce qui fait vivre. Quand on est anesthésié, ou ne ressent rien, ni douleur ni plaisir. On est dans un état végétatif. S'adresser à un public et dire ce qu'on a ressenti est en soi une sorte de thérapie. Certes, ça fait mal d'être en contact avec sa souffrance, mais quand c'est bien fait, ça soulage et ça redonne espoir. Ça permet de prendre possession de notre souffrance de la valider pour finalement mieux l'intégrer et pouvoir passer à autre chose, sans être constamment bloqué. Ces rescapés de la torture ont confié à un large public ce qu'ils ont ressenti, ils ont parlé d'eux,de leurs réactions face aux situations qu'ils ont vécues ces orateurs qui sont-ils ? - Ce sont ceux qui se sont révoltés, mais les humiliations ont laissé des traces, arrêté des enthousiasmes et mits fin à des élans. Des élans qu'il leur faut maintenant retrouver et restaurer: un rien les brise. - Ce sont ceux qui ont pleuré longtemps solitaires. Mais s'il y a dans toute larme une promesse de lumière, il y a aussi dans chacune d'elles un souvenir d'obscurité. Il leur faut beaucoup du temps pour réparer leurs douleurs pour se donner le droit d'être heureux : Non dans un futur hypothétique, mais ici et maintenant. La société, le système, il est vrai ne laissent guère le temps de revenir sur ce qui est perdu, ou ce que l'on croit perdu. Les retours en arrière incessants sur ce qui a fait souffrir et fait encore souffrir ne vont pas dans le sens, au moins en apparence, de ce qui permet d'avancer. Quand on pense que c'est à ceux qui ont créé nos difficultés qu'il revient de les solutionner, que c'est les coupables qui doivent se repentir, payer, venir s'excuser, cesser de nous faire souffrir et changer dans le sens qu'on veut, on laisse notre sort entre leurs mains. Quand on croit qu'il échoit aux autres de nous rassurer, de se conformer aux normes en vigueur, de deviner ce qu'on veut ou de nous donner ce qu'on mérite, on risque d'attendre longtemps avant d'avoir ce qu'on veut. Alors qu'est-ce qu'on fait ? On désigne un coupable et on l'attaque : on le dévalorise, on l'accable, on le traite de tous les noms, on le critique. Est-ce la solution ? Une personne blessée attend de qui l'a condamnée la rédemption, de qui l'a enchaînée la libération, de qui l'a fait mourir le droit de vivre. On croit guérir à la seule condition que puisse guérir celui ou celle qui a fait souffrir : on met son salut entre les mains de son bourreau. Ainsi donc, toute victime reste liée à son bourreau, tant qu'elle attend réparation. C'est un enjeu connu, un défi à la hauteur des expériences des victimes, un besoin de réparation. Restons ouverts au meilleur, sans faire de notre souhait un besoin, ni nous enfermer dans un idéal à atteindre, un but qui serait si précis que rien de ce qui nous est donné puisse jamais nous combler. Tentons le pardon, il est libérateur : il délivre de l'orgueil du ressentiment et de l'amertume certes, le pardon ne peut être «forcé», il découle d'une compréhension profonde de sa propre position et de celle de l'autre. Mais la solitude est difficile pour celui qui ne pardonne pas, car il trouve dans chaque moment de silence une occasion de revivre les douleurs du passé. • Zahra Alilouch