Inventé par les Anglais et développé, par mimétisme, autour des grands clubs européens, le hooliganisme est non seulement une violence ritualisée, anticipée et structurée. Le dernier week-end, j'étais de passage à Casablanca. Toute la ville bruissait de la rencontre footballistique de la soirée, entre les deux grands clubs historiques de la ville (hormis le TAS). Des grappes de jeunes (et de moins jeunes), arborant les couleurs verte et rouge, sillonnaient la cité en se dirigeant, dans un vacarme joyeux, vers le stade. Ils se défiaient verbalement et s'avertissaient mutuellement de la raclée annoncée que l'un des clubs devra nécessairement subir. C'était très bon enfant. Grand consommateur de taxis, il m'arrive de beaucoup discuter avec les chauffeurs. Quand ceux-ci ne sont pas barbus et qu'ils ne vous imposent pas une radio-cassette qui crache des sermons, ils peuvent être des pifomètres inégalables. Ils ne délivrent pas nécessairement des analyses complexes et alambiquées. Mais quand ils sont prolixes sur les questions de société, ils peuvent être de vrais baromètres de l'air du temps. Des nids d'informations. Les taxis redoutaient de travailler la soirée de samedi. Par expérience, ils savaient, qu'en cas de victoire de l'une des équipes, il pouvait y avoir un déchaînement de violence «supportériste» du camp adverse. Cela n'a pas raté. Le lendemain, la ville était jonchée de bris de glace. Partout. Circonstance aggravante, les services municipaux ne travaillant pas le dimanche, l'asphalte casablancais portait les stigmates qui indiquaient la brutalité de la veille. Je ne suis ni Wydadi ni Rajaoui. J'aime bien, de temps en temps, regarder le football. De là à posséder une profonde science des clubs, la connaissance scrupuleuse des joueurs, les arcanes de la technique, ce n'est pas mon rayon. Il y a des journalistes sportifs pour cela. Cela ne m'empêche pas d'être un Casaoui. Pur jus. J'ai, en revanche, le chauvinisme des supporters en horreur. Car, de l'exaltation exacerbée aux conduites déviantes et conflictuelles, il n'y a qu'un pas que certains supporters n'hésitent pas à franchir. Et si 100% des supporters ne sont pas des vandales, 100% des casseurs, du samedi soir, sont des supporters. Cette violence, dont le transport public a payé le plus grand tribut, n'est pas le fait de gens extérieurs au football. Elle est le fait d'une logique de ritualisation, à défaut d'être celle de la préméditation et de l'organisation comme peut l'être le hooliganisme. Inventé par les Anglais et développé, par mimétisme, autour des grands clubs européens, le hooliganisme est non seulement une violence ritualisée, anticipée et structurée. Il est aussi, alcool et packs de bière aidant, une forme d'éclatement dionysiaque. A Casablanca, ce n'était pas du hooliganisme. Juste une forme de bidaouisme populaire. Ce bidaouisme, celui de des quartiers populaires, est du genre à faire culte de la filouterie, de la grivèlerie et parfois de la violence. Il considère les transgressions comme l'alpha et l'oméga de la modernité : Plus «chaytane» que moi, tu crèves. Avec ce type de logique, les débordements étaient donc prévisibles. Il reste que la capacité d'anticipation des taxis était meilleure que celles des services municipaux, de sécurité, de transport public.