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Le choc des attentats délie les langues
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 30 - 06 - 2003

Dans le cadre du Festival Gnaoua musiques du monde, deux colloques, intitulés «Culture, modernité et ouverture» et «minorités et démocraties», ont été organisés les 27 et 28 juin à Essaouira. Meurtries par les attentats de Casablanca, les langues des intervenants se sont déliées pour aborder des sujets, souvent qualifiés de tabous.
Les colloques de vendredi et samedi ont été passionnants. Les événements du 16 mai ont pesé sur les communications au point que le choc des attentats a délié les langues. Les participants ont pris le taureau par les cornes et tenu des propos qui ont surpris par leur courage. A commencer par une intervention très applaudie de Mohamed Achaâri, ministre de la Culture. «Est-ce qu'on peut moderniser un pays d'Islam sans moderniser l'Islam ?». «Pour moderniser le pays, est-ce qu'on n'a pas intérêt à réformer l'Islam ?» Telles sont les deux questions auxquelles le ministre de la Culture a invité les penseurs, intellectuels, historiens et sociologues à réfléchir. Il a estimé qu'il existait une «dichotomie» entre le vécu de la majorité des Marocains et leur religion, et qu'il était temps de mettre un terme à «l'hypocrisie» qui place en inadéquation la vie courante des gens avec leur référence à la religion.
Le docteur Ghita El Khayat a traité, quant à elle, d'un thème qui lui est cher : les métissages culturels. Elle a fait l'apologie de la rencontre avec l'autre. Elle a tenu un discours convaincu sur l'importance du siècle des Lumières dans la modernisation du monde entier. «Le Maroc a eu la chance d'être francisé», a-t-elle affirmé. Et d'ajouter que si les Marocains parvenaient à aborder cette partie de leur histoire sans «le complexe du colonisé», ils pourraient la convertir en source de richesse.
Mohamed El Gahs, secrétaire d'Etat chargé de la Jeunesse, a pour sa part fustigé les personnes qui cherchent des causes sociales au terrorisme. «On ne justifie pas le terrorisme, on le condamne !». A ses yeux, la source des problèmes est relative à l'acception du terme «nation» qui ne se délimite pas à la population marocaine et aux frontières du pays. Ce terme dit trop de choses aux Marocains parce qu'il les renvoie à la Oumma arabe, aux pays islamiques. C'est au culte d'une nation, qui reconnaît ses particularités religieuses et linguistiques, qu'il a appelé de toutes ses forces pour engager les Marocains à défendre jalousement les valeurs du pays dans lequel ils vivent.
Simon Lévy s'est également exprimé. Il a usé de son franc-parler habituel pour accuser les appellations qui éliminent les personnes de sa confession.
«Quand on n'arrête pas de vous répéter depuis votre naissance que le Maroc est un Etat musulman, que les Marocains sont tous des Musulmans, et bien, nous (Juifs), on ne peut s'empêcher de se demander : que fait-on dans ce pays ?». Il en veut comme preuve les manuels scolaires qui ne mentionnent pas une seule fois les Juifs qui vivent pourtant au Maroc depuis 2.000 ans. Il appelle à cet égard à revoir ces manuels en y retraçant toute l'Histoire du Maroc pour enraciner dans les représentations mentales la présence de la «minorité juive» comme une composante à part entière de la société marocaine.
Simon Lévy a aussi expliqué que les Juifs ont vécu en partie, sans soucis, au Maroc parce qu'ils s'occupaient du commerce. André Azoulay, conseiller de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a exprimé son désaccord avec Simon Lévy. Il a récusé l'appellation «minorité», parce qu'il se sent appartenir à un tissu global. Il s'est également opposé au fait que les Juifs aient pu subsister au Maroc, parce qu'ils étaient «marchands». «Nous sommes médecins, musiciens, ambassadeurs, politiciens», a-t-il dit. Il a de surcroît expliqué que les attentats de Casablanca rendaient les Juifs marocains «plus déterminés qu'avant» : ce qu'ils tenaient pour naturel ne l'est plus, et il faut désormais militer, se battre, pour faire triompher les valeurs de tolérance et d'acceptation de la différence de l'autre. Dans ce combat, André Azoulay semble très décidé : «J'ai deux mille ans d'âge ici et personne ne me les enlèvera !»
• DNES Aziz Daki


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