À quarante quatre ans, l'ancien directeur de la publication et de la rédaction de «la Vie économique», Assou Massou, est décédé, vendredi dernier, à Paris, des suites d'une maladie foudroyante. Le journalisme marocain et africain perd un grand professionnel. Assou est mort. La nouvelle n'en est pas tout à fait une. Du moins pour un petit cercle de ses amis et confrères qui, depuis quelques semaines, avaient la terrible information. Ils se la transmettaient, discrètement, pudiquement, tragiquement. Le mal atroce, incurable, implacable était en train de le ronger de manière irrévocable. On faisait comme si on n'avait pas tout à fait entendu. On se mettait à croire, par devers soi, que ce devait être là une de ces méchantes rumeurs qu'on se plaît parfois à faire bruisser dans notre profession. On allait même jusqu'à «oublier» l'information, comme si elle était gênante, encombrante, amère. On se disait : et si le diagnostic était faux, les médecins, il leur arrive aussi de se tromper! Et puis, on trouvait aussi d'autres manières de gérer cette mauvaise nouvelle. On fait comme d'habitude, on se défausse sur Assou lui-même. On se dit que ce berbère pure souche, plongeant ses racines dans les profondeurs des reliefs de roc et de pierraille de la région d'Errachidia, ne pouvait pas se laisser aller comme ça, qu'il n'allait pas rester passif devant le crabe qui eut le mauvais goût et l'effronterie de s'attaquer à un homme si digne, si fier et si brave. Que le caractère qu'il s'est forgé en à peine quatre décennies, mais ô combien remplies et denses, allait lui permettre, une fois encore de faire face à cette délicate adversité. Lui qui a su résister, tout au long d'une carrière, riche et diversifiée, qui a eu gain de cause de mille contrariétés, qui a eu raison de théories de médiocres et de mauvais génies, qui a développé au contact de la sagesse africaine, un peu nonchalante et dolente, mais jamais résignée, un réflexe de résistance, d'endurance et de savoir-vivre, il n'allait certainement pas courber l'échine et se laisser déborder par une traître agression. Et puis, non. On apprit, ce week-end que Assou nous a quittés. Rarement expression funèbre comme celle-ci n'a signifié si justement un acte si grave et si radical. Il nous a quittés à jamais comme si on n'avait pas pu, ni su le retenir. Comme si on n'avait pas mérité qu'il demeurât parmi nous. Comme si nous l'avions, nous les humains, un peu exaspéré, agacé, perturbé, désorienté et mis hors de lui. Il nous a quittés comme on le dit d'un poussin qui a éclos et s'est débarrassé d'une coquille qui craquelle et qui est devenue trop étroite pour lui. Lorsqu'il y a quelques mois, je le revis pour la dernière fois, avec l'énorme plaisir de voir cette oasis humaine au milieu d'une vaste étendue rêche et aride, ses yeux si paisibles dissimulaient une lasse lueur dans le regard. L'homme était arrivé à la conclusion que ce métier qu'il avait tant chéri, qu'il avait préféré à une carrière autrement plus confortable de banquier, d'enseignant ou de formateur, que ce métier de journaliste, propre et intègre, était en train de le miner et de l'asservir. Vivre loin de sa famille restée en France, supporter les lourdes servitudes qu'imposaient les responsabilités qui étaient les siennes, s'adapter à mille contraintes et parfois à une bonne dose de mauvaise foi et de mesquineries d'alentour, l'insupportaient à souhait. Et, en homme de parole et de conviction, il en a tiré les conséquences. Et il s'en est allé retrouver les siens, mais malheureusement pas pour longtemps. La mort lui avait fixé un autre rendez-vous, fatal et décisif. Qu'il repose en paix et que la terre lui soit clémente et affectueuse. C'est un homme libre qu'elle vient d'accueillir en son sein.