Contrairement à une idée reçue, les vagues de tempêtes sont indispensables au bien-être de nos côtes. Il faut formuler le vœu qu'elles puissent se produire au moins une fois par an. Les dragages qu'elles occasionnent coûteraient 2 milliards de DH et dureraient un siècle, si nous les effectuions par nos moyens actuels. Pour nos rivages, les vagues de tempête ont des bienfaits multiples. Elles apportent des rations fraîches du bouillon océanique dont se nourrissent par filtrage les bivalves. En dispersant les spores des algues ou les embryons de poissons, elles participent pleinement à la survie des espèces végétales et animales. En plongeant en profondeur, elles labourent et fertilisent les fonds marins. En remuant les galets, elles contribuent à leur nettoyage. Elles peuvent emporter une plage en une nuit et en construire une nouvelle au printemps suivant, éliminant par là même toute forme de pollution. Elles apportent ainsi des sables nouveaux, riches en nutriments essentiels au développement des algues si précieuses. C'est aussi dans ces sables régénérés que viendront pondre les poissons prédateurs comme le congre ou le loup de mer. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, il faut savoir qu'au cours de la tempête du 1er novembre 2003, des lames tumultueuses ont atteint un pic de 14 mètres de creux. Les remaniements se sont élevés à 500 000 m3 de sédiments par kilomètre de plage. Ce qui pour un linéaire de 1 000 km conduit au chiffre astronomique de 0.5 milliard de m3 de sables emportés vers le large en une seule matinée. Si par exemple, nous devions effectuer ces dragages par les moyens dont nous disposons aujourd'hui, cette opération durerait un siècle et coûterait 2 milliards de dirhams. Cette tempête, absolument providentielle, s'est traduite par le jeu de la réfraction, au moment de la pleine mer et à l'aplomb de la grande digue du port de Mohammedia, par des déferlantes de 20 mètres de haut. Elle a été causée par une vaste dépression centrée au niveau des Açores. Cette dépression a elle-même engendré, de part et d'autre de la latitude 40° N, des vents de 35 à 60 nœuds orientés au WNW et soufflant sur une distance de l'ordre de 800 milles au grand large du Maroc. Cet évènement exceptionnel a été annoncé trois jours à l'avance par les bulletins météorologiques spéciaux n°160 et 161. De plus, la connaissance des vagues océaniques revêt une importance majeure si l'on songe aux différents domaines dans lesquels elles se manifestent. Citons le cycle des marées, la houle et son impact sur la navigation maritime, ainsi que ses effets sur les ouvrages portuaires. En ce qui concerne ce dernier point, il convient de préciser que, tout au long du XXème siècle, l'édifice portuaire marocain a toujours parfaitement résisté aux assauts de l'Océan. Ce fut notamment le cas lors de la dernière tempête qui balaya en puissance la façade atlantique nord de notre pays. Les dégâts signalés à Jorf Lasfar ont été surtout occasionnés par l'ignorance d'une règle de base de l'art de l'ingénierie maritime : ne jamais entreprendre de travaux de surface en front de mer d'octobre à avril. Le musoir de la digue sud de calibrage de Mehdia a également été malmené car déjà fragilisé par la tempête du 30 mars 2003. Par ailleurs, ce type de tempête est très utile à l'ingénieur, car il peut enfin vérifier les réponses données par les maquettes lors de la conception des ouvrages de protection. J'ai pu par exemple personnellement constater que la digue abri du port de Mohammedia s'est comportée exactement comme prévu par le modèle réduit que nous avions interrogé en 1980. Pour finir, disons un mot sur un type de vagues tout à fait malfaisantes : les tsunamis. D'origine sismique, et survenant fréquemment dans l'océan Pacifique, notamment sur les côtes japonaises, un tsunami est un train de vagues imperceptibles en pleine mer mais qui se manifeste à l'approche des rivages, sous forme de déferlantes violentes et géantes, aux effets catastrophiques. Ainsi, à la différence des vagues générées par le vent (c'est-à-dire la houle) qui se manifestent essentiellement à l'air libre, les tsunamis partent du plancher océanique lui-même, et prennent l'allure d'ondulations très allongées contenant une énergie colossale qui se dissipe en se brisant le long des côtes. Il faut se garder de croire que ce phénomène est exotique. Pour preuve, signalons qu'un fameux séisme détruisit le 2 novembre 1755 à 9 h 40 mn du matin une partie de l'ancienne Kasbah de la ville de Mohammedia. La cité n'a repris son véritable essor, malgré sa reconstruction par le sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah, que vers le début du vingtième siècle. Les effets de ce séisme touchèrent également le site de Rabat-Salé ; on relate que la mer s'était retirée sur une grande étendue. Beaucoup de gens étaient allés contempler cet évènement ; le flot montant, revenant avec une rapidité prodigieuse, dépassa de beaucoup ses limites ordinaires. Les eaux tumultueuses, montèrent à une hauteur de dix à douze mètres au-dessus du niveau des hautes marées et engloutirent un grand nombre de curieux. Le raz-de-marée submergea toutes les rues basses de Salé, couvrit même le sol de la grande mosquée et transporta fort loin dans la vallée toutes les allèges et embarcations ancrées dans le fleuve. Le pont flottant qui reliait Rabat à Salé fut rompu et enlevé par les flots. Les berges de l'Oued Bou Regreg s'effondrèrent en divers endroits ; à la Tour Hassan, il reste des rochers fissurés témoins de ce désastre qui changea le destin de l'estuaire, ainsi que celle du port de Salé, le fleuve s'étant élargi à l'embouchure. • Cherfaoui Najib Ingénieur des ponts et chaussées