Youssoufia. Pour satisfaire les besoins de sa maîtresse en bijoux en or, Mohamed, désargenté après avoir dilapidé son héritage, a tué sa mère et son neveu. Un double crime horrible, qui a valu la peine capitale à son auteur. Chambre criminelle près la Cour d'appel de Safi. Mohamed, la trentaine, se tient, la tête basse, devant les cinq magistrats. Il n'ose pas les fixer du regard. Pourquoi ? A-t-il honte ou a-t-il regretté son crime ? Il semble que ce soit les deux à la fois. Sa sœur occupe un siège au sein de l'assistance. Son mari est à l'autre côté de la salle d'audience. Ils se sont déplacés de Youssoufia à Safi pour assister au procès. Est-ce pour le soutenir ? Non. Inconcevable, voire absurde, d'avoir cette réponse. Mais les faits de son crime la justifient. Pourquoi et comment ? « Mohamed est une personne sans amis, renfermée, qui n'adresse la parole à personne », font remarquer tous ses proches et voisins. Il ne leur disait même pas bonjour. Lorsqu'il les croisait sur son chemin, il faisait semblant de ne pas les voir. Il n'engageait souvent la conversation qu'avec sa mère qu'il aimait à la folie. Elle était la seule personne avec qui il entretenait une relation normale. Et son père ? Il est décédé depuis plusieurs années. Les mauvaises langues disent que le comportement de son père envers lui en est pour quelque chose de la situation psychologique de Mohamed. Comment ? Ils expliquent qu'il était dur, cruel et sans pitié avec lui. Il le maltraitait souvent pour la moindre raison, le giflait pour un oui ou un non, lui interdisait de sortir pour le moindre comportement. Il lui interdisait également de se faire et de fréquenter des amis. Quand il était encore enfant, il le giflait s'il le trouvait en compagnie de quiconque. Au point qu'il évitait entretenir une relation avec un voisin de son quartier ou un camarade d'école. D'abord, il n'y est resté pas plus de six ans avant son échec en cinquième année de l'enseignement fondamental. Après quoi, il est resté chez lui, sans penser à chercher un emploi pour gagner sa vie. Après la mort de son père, il a ressenti un tel soulagement qu'aucune larme n'a coulé de ses yeux. Mais il n'a pu se libérer de son monde fermé. Il est resté renfermé sur lui-même. Un état psychologique qui ne lui a pas permis d'entretenir une relation avec une femme. Bien qu'à son âge, les adolescents et les jeunes hommes s'engagent dans les méandres de l'amour et des aventures. Mohamed n'a jamais osé s'approcher d'une jeune fille, ni d'adresser la parole à une femme ou encore tomber dans les filets de l'amour. Il n'a même pas osé fréquenter les maisons closes. Probablement également à cause de son manque d'argent. Car, quand il a vendu sa part d'héritage à quatre-vingt mille dirhams, il a commencé à fréquenter l'une d'elles à Youssoufia. C'est là qu'il a passé sa première nuit avec Ârbiya. C'est elle qui lui a appris l'abc de l'amour physique et du plaisir du vin. Il a passé une belle nuit, inoubliable, avec elle. Elle était généreuse avec lui en plaisir, elle l'a satisfait au point qu'il n'a pas compté les billets qu'il lui avait versé. C'était une découverte pour lui, découverte du corps d'une femme et du plaisir. Avant de partir la première fois, il lui a promis de revenir. Et il a tenu, le lendemain, sa promesse. Il est retourné chez elle une deuxième fois, puis une troisième, au point qu'il a commencé à s'habituer à elle. C'était l'objectif de Ârbiya. Elle ne devait pas rater un client aussi généreux. Et lui, il a trouvé en elle la personne qui l'accepte, qui l'entend, qui l'aime. C'était, tout au moins, ce qu'il croyait au début. Au fil des jours, il est tombé amoureux d'elle au point qu'il a commencé à la fréquenter chaque jour. Arbiya, elle, n'a pas d'autre client que lui. Au bout de huit mois, il a gaspillé les quatre-vingt mille dirhams, c'est-à-dire dix mille dirhams par mois. Comment a-t-il gaspillé toute cette somme? Chez Ârbiya qu'il aime follement bien sûr. Toutefois, celle-ci lui a tourné le dos une fois qu'il n'a plus eu d'argent. Elle l'évite à chaque fois qu'il se rend chez elle. Elle ne veut plus coucher, ni boire avec lui. «Pourquoi ? Tu ne m'aimes plus ?» , lui demande-t-il. Elle lui a expliqué qu'il ne peut plus lui satisfaire ses besoins. De quels besoins parle-t-elle ? «J'ai besoin d'une bague et d'un bracelet en or », lui dit-elle. Comment devait-il faire pour se les procurer ? Soudain, une idée commence à germer dans sa tête. Liquider sa bien-aimée ? Non. Au contraire, il a décidé de chercher de l'argent et de lui acheter ce qu'elle veut. Il est allé chez lui après avoir bu une bouteille de vin rouge. En rentrant, il a remarqué que sa mère et son neveu dormaient. À pas de loup, il est entré dans la cuisine, a ouvert un tiroir et a pris un grand couteau. Après quoi, il s'est dirigé vers la chambre à coucher de sa mère. Sans pitié, il l'a égorgée comme un mouton avant de tuer de la même manière son neveu. Il a ouvert par la suite l'armoire, a pris les bijoux en or de sa mère, ses vêtements, ainsi que le poste de télévision, avant de disparaître sans donner signe de vie. Deux jours plus tard, sa sœur n'a aucune nouvelle sur sa mère et son propre fils. Quand elle est allée les visiter, elle a trouvé la porte fermée. Elle a pu pénétrer à l'intérieur en passant par la terrasse de la maison mitoyenne pour découvrir les corps de sa maman et de son fils en état de décomposition avancée. Alertée, la police a entamé ses investigations qui l'ont menée vers Ârbiya. Cette dernière leur a expliqué que son amant était à Casablanca, à la gare routière d'Ouled Ziane quand il lui a téléphoné pour lui annoncer son crime et lui a promis de la rappeler. Il était à bord d'un autocar à destination d'Oujda lorsqu'il lui a téléphoné la deuxième fois. Sur ordre de police, elle l'a supplié de revenir à Casablanca pour qu'ils puissent se rencontrer à la gare routière. Les limiers, accompagnés de Ârbiya se sont déplacés à Casablanca et ont attendu Mohamed. Seulement, celui-ci n'était pas à bord de l'autocar où il était censé se trouver. Est-il-il descendu dans une autre ville ou bien a-t-il continué son chemin vers Oujda? Ni l'un, ni l'autre, leur a répondu le chauffeur de l'autocar lorsque les limiers lui ont montré sa photo. « Il a été arrêté par les gendarmes d'Aït Ourir parce qu'il était dans un état d'ivresse avancé », leur a-t-il confié. Conduit devant la justice, il a été condamné à la peine capitale.