Deux cents ans après sa naissance, les cendres de l'écrivain Alexandre Dumas ont été transportées, samedi 30 novembre, au Panthéon. Une revanche posthume pour ce descendant d'esclave vilipendé de son temps pour ses origines africaines. Trop pisse-copie pour être bon écrivain, trop croqueur dans la vie pour être cérébral, trop affabulateur pour être conséquent, trop solliciteur de nègres pour avoir un style, trop facile à lire pour ne pas être suspect, Alexandre Dumas a souffert, tout au long de sa vie, de nombreux préjugés et de propos condescendants qui lui ont longtemps maintenu la porte de la république des lettres à moitié fermée. L'université l'a délaissé pendant près d'un siècle, les manuels scolaires l'ont écarté. L'auteur français le plus lu dans le monde a toujours souffert d'un alliage jugé impur. À commencer par sa filiation. Petit-fils d'esclaves et fils d'un général de couleur pendant la révolution, le premier procès fait à Alexandre Dumas se rapporte à son physique. C'est un mulâtre. Plusieurs caricatures de l'époque insistent sur la physionomie négroïde de l'intéressé. L'un de ses détracteurs, Mirecourt, le décrit dans un pamphlet ainsi : « Le physique de M. Dumas est assez connu : stature de tambour-major, membres d'Hercule dans toute l'extension possible, lèvres saillantes, nez africain, tête crépue, visage bronzé. Son origine est écrite d'un bout à l'autre de sa personne ; mais elle se relève beaucoup plus encore dans son caractère. Grattez l'écorce de M. Dumas et vous trouverez le sauvage. » Tous les préjugés relatifs au « nègre » sont appliqués à Dumas. Un dévorateur de femmes, un brûleur de chandelle par les deux bouts ou « l'écrivain qui pue » comme se plaisaient à l'appeler les hommes de lettres dans certains salons. Dumas va de surcroît donner à ses détracteurs un jeu de mots facile : le Noir qui a recours à des nègres. Ce reproche fait à Dumas par ses contemporains continue d'opérer jusqu'à ce jour. Il ajoute un autre élément à cette composition impure dont on a fait grief à l'écrivain. Ses romans sont apparentés à des fils naturels ou aux enfants d'une mère qui prête généreusement ses joues à qui veut y apposer sa marque. La paternité partagée des livres de Dumas est le motif du ressentiment de plusieurs personnes. Elle a contribué à la mauvaise image de l'écrivain, ignoré de l'Université et méprisé par beaucoup de critiques. L'œuvre à la paternité unique est très chère à l'Occident. Il faut qu'elle soit attribuée à une seule personne pour être digne d'intérêt. Le partage était pourtant fréquent. Les grands peintres laissaient souvent à leurs élèves sinon le loisir d'honorer une commande à leur place, du moins le soin de la réaliser à moitié. Cela n'a pas empêché les historiens d'art de désigner un seul auteur à ces œuvres. En plus, si les nègres demeurent d'habitude dans l'anonymat, ceux de Dumas ont une identité, un nom. Le principal “co-auteur” des romans de l'écrivain s'appelle Auguste Maquet. Claude Schopp, le plus connu des biographes de Dumas, défend ce dernier en ces termes : « Il savait qu'en se lançant dans la littérature feuilletonesque, il était fichu car il entrait dans l'impureté littéraire, comme si la littérature était pure ! » Impureté, nous revoici dans cet alliage de sang qui a donné lieu aux railleries des contemporains de l'écrivain. Cet alliage a contaminé donc ses livres. Un homme à la filiation impure ne peut produire des livres racés. De tous les préjugés dont on crédite généreusement les hommes de couleur, on ne retrouvera pas pourtant celui de la paresse appliqué à Dumas. Il était un infatigable travailleur. Il a publié 600 volumes et créé plus de 37 000 personnages. Fleuve torrentiel et intarissable de mots, il ne pouvait tout écrire lui-même. Mais cet alliage que l'on reconnaissait comme une tare à l'homme n'est pas palpable dans les romans qui ont fait la réputation de l'écrivain : « Les trois mousquetaires», « Le Comte de Monte-Cristo » ou « La Reine Margot ». Dumas imposait son écriture éclatante, et ses nègres marchaient au pas en l'imitant. La voix qui traverse d'un bout à l'autre ses romans lui a valu plusieurs admirateurs dont Feu Hassan II qui a restauré la salle maure de son château à Marly-le-Roi (Yvelines). Avec le transfert de ses restes au Panthéon, Dumas a une vengeance encore plus flamboyante que celle de son personnage Monte-Cristo. L'écrivain, né en 1802, rejoint ainsi les 61 « grands hommes », dont Jean-Jacques Rousseau, Emile Zola, Jean Moulin ou Pierre et Marie Curie, qui reposent déjà dans ce lieu. Une revanche pour ce petit-fils d'une ancienne esclave noire, longtemps méprisé en raison des alliages d'où il tire sa force.