Le peintre Mohamed Drissi s'est réveillé, il y a deux semaines exactement, avec l'envie de petit-déjeuner avec deux croissants. Il ignorait que c'était le premier jour de Ramadan. J'ai été pris de court par le mois de Ramadan cette année. Je ne m'attendais vraiment pas à ce que l'on jeûne le mercredi. J'étais à Rabat et j'avais tout prévu pour passer ma première journée ramadanesque avec mes enfants et ma femme à Tanger. Vous connaissez Rabat ! C'est une ville qui a été fondée pour nous essouffler dans le marathon d'une administration à une autre. Et comme je tenais absolument à tout régler ce mardi-là, histoire de retourner le lendemain à Tanger, je vous laisse imaginer l'état dans lequel je suis rentré dans ma chambre à l'hôtel. Je me suis endormi vers 20 h. Le lendemain, je me suis réveillé frais et dispos avec un ventre qui réclamait impérieusement un bon petit-déjeuner : la veille, j'étais trop fatigué pour penser à dîner. Je me suis allègrement acheminé vers la boulangerie du coin. J'ai été un peu surpris de voir des tables où sont disposées tous les gâteaux dont les Marocains sont friands au mois de Ramadan. Décidément, les gens de Rabat sont prévoyants. Ils font tout un jour en avance, me suis-je dit. “Deux croissants s'il vous plait” ai-je lancé à la serveuse. À ma grande surprise, elle n'a pas donné de suite à ma demande. Les autres personnes présentes dans la boulangerie m'ont regardé de travers. J'ai commencé par vérifier que ma braguette était bien fermée. Ma veste avait aussi son apparence normale. Quant à mes cheveux, ils sont naturellement ébouriffés, mais cela ne m'a pour autant jamais donné le sentiment d'être indésirable quelque part. Or, je lisais l'expression du rejet sur le visage de toutes les personnes – surtout des femmes – présentes dans la boulangerie. Je vous ai demandé deux croissants, ai-je répété sur un ton plus déterminé. Les regards farouches n'ont pas été pour autant adoucis par mon air décidé. On me regardait comme si j'étais un extra-terrestre et personne ne me donnait d'explications. Mais, c'est un scandale ! on refuse de servir un client ! Alerté par mes cris, le propriétaire de la boulangerie est apparu. “Comprenez, cher Monsieur, la gêne de la serveuse. C'est le premier jour de ramadan !” Voilà ce qui explique donc l'hostilité des personnes présentes dans la boulangerie. Deux croissants à dix heures du matin, c'est louche ! Je me suis confondu en excuses, en jurant que j'ignorais complètement que nous étions déjà au mois de ramadan. Mon accent tangérois a amadoué les expressions farouches. Tout le monde était d'accord sur le fait que l'on avait annoncé ramadan à une heure tardive. Quant à moi, j'ai croqué de toutes mes dents dans un croissant après le ftour. Et dans ma rage, il n'y avait pas seulement la faim, mais un peu de hargne contre un croissant qui s'était manifesté un jour trop tôt.