«Antigone» de Nabyl Lahlou a fait salle comble mercredi dernier au théâtre de l'Institut français de Casablanca. La mise en scène se caractérise par une exubérance baroque. Pour la première fois, l'on rit dans une tragédie. On aura rarement vu autant de personnes dans le théâtre 121 de l'IFC. Un public majoritairement constitué d'adolescents. Ces derniers ne sont pas venus seulement pour apprécier une représentation théâtrale, mais parce que «Antigone» est programmée dans plusieurs établissements du secondaire. «Fermez ce téléphone. Nous ne sommes pas dans une halqa, mais dans un théâtre, un sanctuaire». C'est en ces termes que Nabyl Lahlou s'est adressé au propriétaire d'un téléphone portable qui a sonné, alors qu'il se livrait à un petit préambule avant le début de la pièce. Fantasque Nabyl Lahlou, l'on ne saura jamais où s'arrête pour lui l'aire du jeu et celle de la vie réelle. Vêtu d'un uniforme immaculé et de bottes de cavalerie qui enveloppaient son pantalon jusqu'au-dessus des genoux, il ressemblait à Mussolini. Il a décoré le petit espace de la scène de quatre posters d'écrivains. Ils ont tous en commun le fait d'avoir écrit «Antigone». Les auteurs en question sont : Sophocle, Cocteau, Anouilh et Brecht. L'Antigone de Nabyl Lahlou n'appartient à aucun de ces quatre dramaturges, elle leur emprunte à tous une scène, une seule, celle de la confrontation du personnage qui tient le rôle-titre avec Créon. L'on sait que l'objet de ce face-à-face est l'inhumation du père d'Antigone, Œdipe, laissé en pâture aux corbeaux par son frère Créon. Antigone veut donner une sépulture à son père, défiant ainsi l'autorité d'un roi. Le metteur en scène revisite les textes de ces quatre dramaturges. Il n'a pas choisi la facilité, puisque Antigone est tantôt interprétée par Sophia Hadi, tantôt par Amal Ayouch. Le jeu des deux comédiennes est différent. Sophia Hadi joue d'une façon sereine, elle donne une densité sombre au personnage. Amal Ayouch est plus expressive, plus emphatique. Toutefois, Nabyl Lahlou ne se contente pas de coller au texte de ces quatre dramaturges, il ajoute un détail de sa création. Une clinique dans laquelle les deux comédiennes se retrouvent après un accident de voiture. Le directeur de la clinique est féru de théâtre. Il leur demande de répéter la pièce, et se prend peu à peu pour Créon. C'est probablement l'une des trouvailles les mieux inspirées du metteur en scène. Il joue du théâtre dans le théâtre, rompant ainsi la convention théâtrale fondée sur l'illusion de la vie réelle. Il fait défiler une actrice, Nadia Niazi, vêtue de deux pages où est inscrit le texte à jouer. Ces deux pages sont conformes à la taille de la comédienne. Nabyl Lahlou n'hésite pas non plus à provoquer les spectateurs. Il fait une entrée spectaculaire dans une baignoire. Il en sort, à l'étonnement de tous, en petite culotte. Il a joué dans cet attirail bref avec une aisance décapante. L'exubérance marque à cet égard la mise en scène de l'intéressé. Il a cherché volontairement à faire rire les spectateurs dans de nombreuses scènes. Celui qui tient le rôle de Thérésias insulte en marocain Créon. Ce qui a provoqué un vrai délire dans la salle. Cette exubérance de la mise en scène rappelle autant Pirandello que certains films de Fellini. Nabyl Lahlou a rendu comique l'une des tragédies les plus terrifiantes de l'histoire du théâtre. Sa mise en scène n'inspire pas la pitié, mais l'hilarité. C'est un choix délibéré qui défigure l'esprit de la pièce. Est-il pour autant condamnable ? Difficile de le dire. Avec Nabyl Lahlou, la frontière entre le génie et le ridicule est ténue. Bien chanceux celui qui saura trancher.