Tenues samedi dernier à Marrakech, les deuxièmes Assises nationales du Tourisme ont été l'occasion de faire un bilan d'étapes. Trois ans et demi après le lancement de ce vaste chantier, bien des choses ont été réalisées. Mais le travail est loin d'être terminé. Les deuxièmes Assises nationales se sont finalement déroulées dans une ambiance relativement sereine , samedi 11 décembre à Marrakech. Les négociations homériques tenues la veille sur les thèmes et la manière de les aborder laissaient pourtant présager une matinée difficile, voire houleuse. Des appréhensions d'ailleurs assez visibles sur le visage du président de la Fédération nationale du tourisme, un moment favorable à une séance à huis clos. Les traits tirés, malgré un petit sourire omniprésent, Jalil Benabès Taârji, entouré pour la circonstance de Fouad Chraibi, ancien d'Accor Maroc, devenu consultant, a prononcé le préambule, annoncé le programme pour ensuite se confiner dans un rôle de modérateur à l'affût des interventions qui déborderaient sur le temps imparti. Le débat ne tarda d'ailleurs pas à s'envoler, après quelques interventions techniques dont celle du président du CRT de Marrakech, Kamal Bensouda, resté relativement à l'écart des joutes. Amine Alami du cabinet CFG, l'un des artisans du contrat-programme 2010, avait la lourde tâche de présenter le fameux bilan d'étape. Un rôle qui n'est pas sans risques face à 500 professionnels impatients dont certains avaient pris au mot l'objectif de la rencontre : «laver le linge sale en famille». Le CFGiste, très au courant des tractations de la veille, consacrera une bonne partie de la matinée à faire défiler des histogrammes et à répondre aux interrogations des uns et des autres. Le feu nourri de questions venait de la première rangée à droite, là où le hasard a voulu qu'on y retrouve pêle-mêle une bonne partie de cette caste de professionnels qui souhaitent que soit dissipé, pour reprendre l'expression de l'un d'eux, «cet écran de fumée qui plane sur les chiffres du tourisme». Amine Alami s'y est essayé, mais souvent en docteur, avec un raisonnement mathématique d'une rare pureté. Une intervention qui peut se résumer en trois mots : trois ans et demi après son lancement, la vision 2010 déclinée sur trois axes (commercial, industriel &financier, et institutionnel) a donné un résultat «positif» sur le premier point, «mitigé» sur le deuxième et «insuffisant» sur le troisième. En effet, si la permanence de l'engagement royal ne s'est jamais démentis, on assiste en revanche «à un essoufflement de certains départements ministériels». En homme de concertation qu'il conçoit sa mission , M. Alami se gardera de nommer ces ministères, orientant plutôt son intervention sur les grandes réalisations de la vision 2010, à savoir le plan Azur et la libéralisation du transport aérien, deux secteurs que l'intéressé notera d'ailleurs à 100% exécutées. Ce qui lui valut une nouvelle envolée de bois vert de la part de Saïd Scally, le président du CRT d'Agadir : «je ne comprends pas cette notation de 100% au secteur du transport aérien et au plan Azur ». Un rappel à l'ordre qui a trouvé écho puisque plus tard, durant l'après-midi, l'intervention ministérielle sera beaucoup plus modeste. Pour les professionnels, le transport aérien et terrestre est à revoir. Ce ne sont pas les 650 dirhams par personne que l'ONDA perçoit sur les tarifs du handling qui changeront la donne. S'ensuivront ensuite plusieurs interventions, émanant toujours de cette première rangée. Qui sur le rôle du CRT, que Amine Alami voudrait s'orienter vers plus de planification que la promotion, qui sur le pourquoi de la mise en berne du fameux CST, comité stratégique du Tourisme censé se réunir régulièrement mais qui n'existe que sur le papier. En substance, le débat ne manque pas de jus. «Ce qui a surtout agacé les participants, c'est la présence de Nadia Salah de l'Economiste et surtout ses interventions où elle s'est permise de donner des leçons aux professionnels», note un opérateur du Souss. Il est vrai que Aziz Lebbar, se voulant d'abord professionnel, mais qui a tenu à rappeler à l'assistance ses fonctions de député et son appartenance à la Mouvance populaire, «majorité actuelle », dira-t-il, fait rarement dans la dentelle. Ignorant les signes de main de M. Taârji qui lui rappelait sans cesse que le temps qui lui était imparti est épuisé, cette grande gueule de Fès n'y est pas allé de main morte. «La vision 2010 relève d'une décision royale. Mais derrière, il y a beaucoup de choses à réviser, notamment le cadre de gestion du budget de l'ONMT, lequel doit être géré et non gaspillé ». De là à la réforme de la TPT (Taxe de promotion touristique) longtemps annoncée, jamais concrétisée, il n'y avait qu'un pas. Que le même Lebbar franchit, portant le stigmate sur un problème presque tabou, la situation de certains établissements hôteliers au-dessus des taxes, puis de certaines agences de voyages, accoudées aux Tours opérateurs et qui font du dumping. «Ce sont des pirates !». Et d'ajouter «ces agences font du dumping et encaissent 15 à 30 jours d'avance, pourtant nous les hôteliers, avons des arriérés jusqu'à six ans. Pourquoi la RAM encourage-t-elle ces agences de voyages ou cette personne ! L'allusion était sans doute trop évidente pour les opérateurs , mais les noms seront tus. «Nous sommes en train de détruire notre tourisme, nos recettes sont restées pratiquement les mêmes, elles sont faibles comparées aux arrivées ». Il n'y aura pas de guerres entre les professionnels, mais la tension était palpable après l'intervention du député fassi. Beaucoup s'emploieront à jouer les pompiers, y compris Jamal Essadine, président de la Fédération des guides, encore mal remis du refus des agences de voyages de recevoir sa corporation, qui a souhaité que soit étendue la culture de l'autocritique. Pour sa part, le président de la Fédération hôtelière , Abderrahim Oumani, préférera insister sur le plan de la formation hôtelière, plan où «nous ne sommes pas impliqués », dira-t-il. Amine Alami reprendra la parole pour se poser trois questions fondamentales qui doivent intégrer la vision 2010. Il s'agit de l'interaction de ce vaste chantier avec le champ politique mais surtout, avec le religieux et le syndical. Soit dit en passant, le dirigeant de la CDT, M. Amaoui, était présent, mais en tant qu'observateur silencieux. Le cas turc, pays musulman qui reçoit actuellement 15 millions de touristes et qui en escompte 50 à 60 millions d'ici 2015 a été cité en exemple pour servir de modèle pour le Maroc en ce qui concerne la question religieuse et le tourisme. Mais pour beaucoup d'intervenants, l'urgence était d'abord la question des taxes et la fiscalité locale, «la terrible déception en 2004 », pour reprendre l'expression utilisée et qui ne plaira pas à Adil Douiri. Arrivé en début d'après-midi, après qu'eurent cessé les salves nourries, le ministre du Tourisme, apparemment bien briefé (mais s'y défendant) y est allé lui aussi de sa présentation des bilans et des chiffres. Le ministre qui a gardé la parole pendant plus d'une heure a annoncé la mise en place dans les prochains jours d'un observatoire du Tourisme, censé mettre fin à un « débat stérile » : celui des chiffres. C'est le mot de la fin. Ces Assises nationales auront servi au moins de cadre de répétition générale avant les prochaines Assises internationales, prévues les 14 et 15 janvier à Ouarzazate.