La fatalité des scissions de cette mouvance finit par être payante et se transforme en une force politique avec laquelle il faut compter. Les élections législatives ont donné une surprise de taille qui est la montée en puissance des islamistes du PJD. Cette percée est un fait, sauf que les sièges remportés par ce parti ne représentent qu'un peu plus de 10 pour cent de l'ensemble des sièges de la chambre des représentants. C'est dire qu'il faut relativiser. Par contre, ce qu'a engrangé la galaxie des mouvements populaires avec ses cinq segments est beaucoup plus surprenant. Et pour cause, le total cumulé des sièges obtenus par le MP, le MNP, l'UD, le MDS et Al Ahd atteint 62 députés. Soit un nombre de sièges qui met cette mouvance en tête des partis politiques, loin devant l'USFP, l'Istiqlal, le PJD et le RNI. Cette position est d'autant plus surprenante que les trois principaux partis du mouvement populaire ont perdu beaucoup de sièges par rapport à leur score dans les législatives de 1997. Le plus grand perdant reste le MDS de Mahmoud Archane qui s'est retrouvé avec cinq sièges au lieu de 32 d'il y a cinq ans. Le MP de Mohand Laenser a curieusement laissé des plumes en perdant 25 sièges alors que le MNP de Mahjoubi Aherdane n'a laissé filer que trois sièges. Les deux nouveaux partis issus de cette mouvance en l'occurrence, l'union démocratique et Al Ahd ont réussi à obtenir respectivement 9 et 5 sièges dés leur première sortie électorale. Ce qui constitue une prouesse qui n'a d'égale que l'enracinement du mouvement populaire dans le monde rural. C'est à croire que la fatalité des scissions de cette mouvance finit par payer et se transforme actuellement en une force politique avec laquelle il faut compter. Si, bien sûr, toutes ses composantes arrivent à accorder leurs violons pour jouer le même refrain populaire. Ce qui n'est pas impossible quand on entend parler les différents leaders de ces segments populaires. Même s'ils sont tous affectés par la baisse substantielle de leur représentation au Parlement, ils sont tous conscients de l'ampleur de leur force unie sur l'échiquier national. Le secrétaire général du MP, Mohand Laenser, connu par sa sagacité et son ouverture d'esprit ne cache pour autant son amertume : "Les élections se sont déroulées telles qu'elles se sont passées et comme on a s'est engagé moralement à ne pas contester les résultats, je m'abstiens à les commenter. Ceci étant, si c'était à refaire nous n'aurions pas accepté ce consensus parce que je considère qu'on n'est pas encore tout à fait murs pour réussir à cent pour cent ce mode de scrutin. Notre parti a régressé, c ‘est certain. Et j'estime que ce recul peut être attribué à l'éparpillement du champ politique par la pléthore des partis comme il serait, peut être, dû à des erreurs que nous avons commises. Le bureau politique fera incessamment le bilan de ces élections pour en tirer les leçons nécessaires.» Malgré ce constat, Laenser reste égal à lui-même, c'est-à-dire un homme politique avisé et avéré qui sait faire la part des choses. Il sait très bien que son alliance avec le MNP constitue pour son parti une bonne carte qui peut devenir une force politique dominante si elle arrive à faire l'union de toutes les mouvances populaires. D'ailleurs, les patriarches de cette grande famille sont tous unanimes pour unir leur force. Reste à savoir comment et pourquoi ? Pour participer au gouvernement ? C'est aller vite en besogne quand on sait qu'il faut composer avec d'autres partis pour avoir la majorité. Mohand Laenser considère que selon la nouvelle carte politique, on sera obligé encore de recourir à une majorité hétérogène. Son ex-frère ennemi, le vieux lion de l'Atlas, Mahjoubi Aherdane n'a rien perdu de son engagement et de sa franchise assassine :' Il n'y a pas d'élections au monde où ne recense pas de falsifications. » La phrase assassine est lancée dès le départ, mais ce doyen des politiciens sait se ressaisir pour expliquer le recul de son parti :” le Maroc était mal préparé pour ce genre de scrutin par liste, la preuve ce nombre impressionnant des bulletins nuls par méconnaissance et non pas intentionnels. J'ai évoqué ce problème dés le début, mais personne ne m'a écouté et quand on connaît le taux d'abstention, on doit tirer les leçons nécessaires de ces consultations.» Mahjoubi, comme il se définit lui-même, n'est pas un pessimiste mais un réaliste dont le flair politique a été aiguisé par la nature du terrain où il évolue. Il estime que la mouvance populaire a été toujours la première force politique du pays, mais il considère qu'elle a été toujours sabordée. Nos résultats ne sont pas aussi mauvais qu'on le croit car la famille du mouvement populaire commence à récupérer tout ce qu'on lui a retiré. Notre alliance avec le MP est déjà un retour à la source et cela ne m'étonnerait pas que toute la famille puisse se regrouper sous la même tente. On pourra participer au gouvernement comme l'a fait le MNP au cours du dernier mandat mais notre participation éventuelle se fera dans un autre contexte avec d'autres paramètres.» Le chef de l'Union démocratique, Bouazza Ikken, n'est pas grisé par les neuf sièges remportés par ce tout jeune parti :" Je m'attendais à obtenir vingt députés, mais on a commis l'erreur de reconduire à la candidature d'anciens députés. Ceci étant on compte sur le retour au bercail de plusieurs députés qui se sont présentés au nom d'autres partis.» Bouazza Ikken comme tous les leaders de la mouvance populaire n'exclut pas l'union des frères ennemis. Il reconnaît à peine qu'il existe des tractations indirectes mais estime qu'il ne faut pas brûler mais essayer de passer, le plus rapidement possible, à la vitesse supérieure. Ce qui le préoccupe le plus aujourd'hui c'est que le prochain gouvernement puisse réunir une majorité forte et que l'opposition soit assez forte pour qu'elle puisse jouer son rôle. Le leader du MDS , Mahmoud Archane, n'arrive pas à contenir sa bile face à ce qu'il appelle la mascarade de Tiflet : «On a monté des scénarios incroyables à mon encontre au cours de la campagne électorale alors qu'il ne s'est rien passé à Tiflet. Que les journalistes viennent faire une enquête sur le terrain pour comprendre que j'ai fait l'objet d'un complot cynique.» Archane s'étonne qu'on l'ait déclaré gagnant le samedi matin et que le resultat ait changé à son détriment l'après midi du même jour. Il demeure inquiet sur l'avenir du Maroc si l'on continue dans ce genre d'agissements destinés à abattre des candidats et par conséquent, dit-il, tuer la démocratie. Mais Archane ne désespère aucunement quand il fait le total des sièges obtenus par la mouvance populaire :» il faut que les segments de la mouvance populaire se retrouvent et se réunissent pour affronter ces nouveaux défis. Je suis décidé à réaliser cette union au sein d'une mouvance patriotique et qui est profondément enraciné.» Archane avoue qu'il existe des contacts informels entre les partis des mouvements populaires qui constituent la première force politique du pays. Reste à savoir si ce petit monde qui a longtemps mené une guerre fratricide peut oublier ses querelles et se réunir sur une même idée.