Le peintre Abdellah Sadouk expose ses œuvres jusqu'au 30 septembre à la Galerie Al Manar à Casablanca. L'on aura rarement vu des paysages reposer sur l'absence du motif. En renouvelant son art, Sadouk montre qu'il est l'un des grands peintres de ce pays. C'est d'abord un univers. Celui d'un artiste aux constructions complexes et éclatées. Des plans se pénètrent, s'entrechoquent. Ils imposent des parties calmes et d'autres intenses. Vu de loin, un tableau de Abdellah Sadouk est un foyer de forces, une source d'énergie difforme. Il est strié, zébré, et ce en raison des lignes obliques qui l'étagent avec fougue. Vu de près, il apaise l'œil, l'apprivoise, le nourrit avec de multiples détails – indéchiffrables lorsqu'on recule de quelques pas. La leçon de Sadouk, c'est aussi l'échelle à laquelle un tableau se donne au spectateur. Une chose résiste à cette échelle. Qu'on soit près ou loin, l'œuvre dégage une lumière éblouissante. Lumière qui miroite avec des couleurs pourtant peu appropriées à l'éclat. Sadouk ne cherche pas à séduire l'œil. Il use volontairement de couleurs peu portées à titiller la rétine. Ses tableaux ne sont jamais ternes même quand ils sont peints avec des tons ocre. Le meilleur dans les paysages peints par Sadouk, ce sont ces lignes – exemptes de motifs – qui déstructurent ses tableaux. Le peintre construit tout en défaisant. Il compose avec les failles de la peinture. Ce qui apparente ses œuvres à des collages. Entre la superposition des parties qui ont subi un traitement figuratif, des lignes vierges de tout motif révèlent l'abîme de la figuration. La figure se construit ainsi sur son absence. Il faut être attentif au nombre de failles qui jonchent les tableaux de Sadouk. C'est le sceau de son art. La marque de son tempérament d'artiste. Il faut aussi se réjouir de l'évolution de ce peintre. L'on aura rarement vu un artiste changer de peinture en si peu de temps. Deux tableaux bleus datant de 2001 l'attestent. Ils sont faits pour séduire l'œil, prêtent à de fâcheuses équivoques avec la peinture facilement orientaliste. Et puis, cette ligne qui construit le motif sur le vide leur fait défaut. Un autre tableau de 1998 montre que Sadouk a aussi sacrifié à cette mode du signe. Les tableaux de ce genre ne se distinguent pas des objets de décoration… Heureusement qu'il y a les autres. Considérons un tableau strié de jet d'eau. Des cours d'eau le traversent partout. Des fleuves suspendus. La leçon de Sadouk, c'est que le motif avant de constituer une rivière ou n'importe quel autre courant d'eau est d'abord une peinture. Du moment que cette peinture n'obéit pas aux règles de la perspective et du trompe-l'œil, elle est renvoyée à son propre objet. Encore l'un des miroitements dans l'art de l'intéressé. En plus, les tableaux de Sadouk sont architecturaux. Les paysages semblent dressés dans l'espace. Ils sont quasi-sculpturaux. Et cette sculpture se voit, se palpe, impose avec netteté sa présence dans les tableaux. Rien d'étonnant à cela, Abdellah Sadouk a commencé sa vie de plasticien comme sculpteur. Cet artiste hésite sur sa date de naissance, non par coquetterie, mais parce qu'il en a deux. « D'après mes parents, je suis né en 1948, mais mes papiers me rajeunissent de 2 ans, puisqu'on y lit 1950 » dit-il avec cet humour qui fait de sa conversation une fête. Il est plasticien depuis 1967, année à laquelle il est entré à l'Ecole des Beaux-Arts de Tétouan. Il a vécu près de vingt ans à Paris, ville où il a fait les Beaux-arts et les Arts décoratifs. Cette longue absence rend son nom peu familier au public. Il n'y a qu'à voir l'exposition de ses tableaux pour ne jamais l'oublier.