Le père, c'est Mbarki. On l'appelait " moul naânaâ ", car il cultivait et vendait de la menthe. Quand il est mort, en 1986, il était veuf depuis deux ans. Quelques semaines avant sa mort, soupçonné dans une affaire de meurtre duquel il était innocent, il avait été malmené dans les locaux de la gendarmerie de Bel Ksiri (cf. " Les mémoires d'un chômeur ", de Driss Louiz, Éditions Boukili 2001). À sa mort, il a laissé cinq enfants, quatre filles et un garçon (Aïcha, Fatna, Driss, Rahma et Massira) et une maison – par laquelle le malheur va arriver huit ans plus tard –, une banale mais spacieuse demeure (3 pièces et les dépendances), typique des habitations du Gharb, située au douar Laghrariyène, commune Rmila, à Dar Gueddari, dans le Gharb. Driss (43 ans aujourd'hui), marchand de légumes à Sidi Yahia, a dû finalement quitter la maison paternelle pour se rapprocher de son travail et vivre, à Sidi Yahia, avec sa sœur Fatna (45 ans) – dont le mari est mort il y a cinq ans, asphyxié au butane dans sa douche. Driss est un homme tranquille – récemment marié –, sans histoires, qui " rentre dans le souk de sa tête ". Il n'a rien d'un assassin. La plus jeune sœur, Massira, née, on s'en doute, en 1975, célibataire, habite aussi avec Fatna à Sidi Yahia. Aïcha, l'aînée, mariée, mère de famille, vit à Kénitra ; il ne sera pas question d'elle dans cette affaire. Rahma (la quarantaine) est mariée et a deux garçons et trois filles. C'est cette dernière qui va être l'épicentre du drame. C'est une personne à la langue bien pendue mais avenante et serviable. Elle est mariée depuis une vingtaine d'années. Son mari, Mohamed, bûcheron, n'est pas de la région ; une brouille avec ses frères l'a amené à quitter sa maison familiale avec sa femme et ses cinq enfants. Ils sont venus tout naturellement s'installer au douar Laghrariyène, dans la maison du père, qui était vide. C'était le dernier jeudi de juillet 2004. Driss, sa femme et ses sœurs Fatna et Massira débarquent dans la maison du père avec l'intention de protester contre l'occupation de celle-ci par leur sœur Rahma, son mari et leurs enfants. Il est clair que leur installation dans cette maison est définitive. La preuve qu'ils allaient y rester à vie est qu'ils ont fait brancher l'eau potable sans demander l'avis de personne. Et puis Mohamed n'est-il pas un étranger, un intrus ? La dispute s'envenime à propos d'un mur que Rahma a fait construire devant l'entrée pour mettre l'intérieur à l'abri des regards – la maison est sur une voie de passage assez fréquentée. Les femmes en sont venues aux cris. Les hommes se taisent. Fatna et Massira donnent la charge et Rahma, on le sait, n'est pas personne à se laisser faire. Vers dix-huit heures trente, Jelloul, le fils aîné de Rahma, entre en scène. Il a dix-huit ans. C'est un joli garçon fort sympathique, gentil, prêt à tout pour rendre service, généreux quoique pauvre, travailleur, " hachchoumi, ka ihchem men nnass ", quelqu'un qui ne lève pas les yeux sur autrui. Analphabète, il travaille dans les champs, quand il trouve du travail, et ce qu'il gagne ne dépasse pas les trente dirhams par jour. C'est ce modèle des vertus campagnardes qui va défendre sa mère contre les griffes de ses deux tantes déchaînées. Il a tout de la victime. Lui, le non-violent, il se jette sur elles à mains nues. C'est alors que la femme de son oncle Driss intervient : elle lui assène un coup de bâton sur la tête. Driss s'en mêle et frappe Jelloul avec une bêche (" ganchou ", instrument dont on se sert pour déterrer les betteraves sucrières). Le coup est mortel. Rahma s'enfuit appeler les gendarmes. Pendant ce temps-là, les trois femmes s'en prennent à Mohamed, dont le fils est mort à ses pieds : il reçoit sa part de coups de bâton et de pioche… Fatna et Driss, eux non plus, ne sortiront pas indemnes de la bagarre qui se termine à l'hôpital. À la morgue pour Jelloul. • Driss Louiz et Jean-Pierre Koffel