Mercredi dernier au théâtre 121 de l'Institut français de Casablanca, première de «La nuit juste avant les forêts», une pièce de Koltès, l'un des plus importants dramaturges contemporains. Mise en scène par Mohamed Ayad, cette pièce a étonné par son audace. Bernard-Marie Koltès est le dramaturge français contemporain le plus joué au monde. C'est aussi un écrivain à part entière, l'un de ces écrivains qui possèdent une marque reconnaissable par tous. C'est dire l'intérêt de jouer son théâtre au Maroc. L'honneur d'ouvrir le bal est revenu à Mohamed Ayad. Il est en effet le premier metteur en scène marocain à monter une pièce de Koltès dans notre pays. Le langage de Koltès est certes littéraire, mais d'une littérature qui puise ses effets dans le parler urbain. Ce langage constitue un vrai manifeste de la poésie contemporaine. Il est sans emphase ni grandiloquence. Juste la poésie de la rue, mais il faut avoir les yeux et les oreilles de Koltès pour en capter la beauté. Mohamed Ayad a parfaitement intégré cela. Le décor de « La nuit juste avant les forêts » est éminemment urbain. La toile de fond est complètement taguée. Elle porte des inscriptions en arabe où l'on peut lire : «interdit de pisser», «Loubna est une pute». Un bidon de métal, un grand miroir coulissant et quelques cannettes jonchant le sol constituent le décor. Un homme censé être dans un café tente de retrouver un peu de chaleur humaine. Il essaie de retenir un inconnu. Il lui parle de son univers, de ses rêves. Il pleut dehors, et l'homme est étranger dans le pays où il tente de se cramponner à un inconnu. On ne sait pas son nom, mais l'étranger a des soucis quotidiens. Ses considérations sur la vie ne sont pas métaphysiques. La pièce de Koltès repose à cet égard sur des images participant d'un registre organique. Tout y exprime les soucis du temps qu'il fait. Les préoccupations d'ordre culinaire et sexuel y sont omniprésentes. L'étranger parle de sa toilette intime, nomme ses organes. Il parle sans pudeur, refait le monde, veut créer un syndicat international qui décrète une loi interdisant de bander et de jouir… Une comédienne tient ce rôle. Ilham Khalafi a un débit rapide. Elle a mené un rythme endiablé. La pièce est sans silence. De ce point de vue-là, l'on peut dire que cette comédienne a réalisé une belle performance en tenant près d'une heure sur scène. Le public a été au début quelque peu déconcerté par une petite particularité dans la diction de cette comédienne. Elle articule en effet d'une façon nasillarde, mais cela ne gêne en rien son jeu. Bien au contraire, ce petit défaut dans la voix lui confère le trait distinctif qui fait la valeur du jeu des grands acteurs. En revanche, il y a des réserves à émettre sur la façon dont elle se meut sur scène. Elle se dépense trop, met du cœur à l'ouvrage, mais pèche par excès d'agitation. L'on saisit là que le jeu n'est pas affaire de bonne volonté, mais de présence sur scène. A propos de présence, un comédien n'en manque pas. Salah Boudour n'a pas prononcé un seul mot, mais il était là. Et son regard, l'expression de son visage ont été d'un grand secours à l'étranger. Par ailleurs, un défi accompagne toute mise en scène d'une pièce de Koltès. Elle ne doit pas reléguer au second-plan le caractère littéraire du texte. Le metteur en scène de Ayad a quelque peu étouffé le texte du dramaturge. Ayad a en effet péché par un excès de mouvement. Il semble craindre qu'un seul acteur sur scène ne donne un aspect statique à la pièce. Soucieux probablement de la dynamiser, il a fait perdre au texte un peu de sa teneur. À signaler que dans la version originale de «La nuit juste avant les forêts», l'étranger est assis dans un café. C'est-à-dire qu'il se déplace peu… Cela dit, il faut féliciter le jeune Mohamed Ayad de son choix audacieux et encourager sa pièce en s'y rendant. Elle sera encore jouée à l'IFC le samedi 8 juin à 20h 30.