Il a un petit air d'Anthony Hopkins dans «Le silence des agneaux». Nadir Sedrati a été condamné à la réclusion à perpétuité pour l'assassinat de trois anciens codétenus. Jeudi 25 avril. Cour d'Assises de Meurthe et Moselle (France). L'apparence physique de Nadir Sedrati est soigneusement étudiée. Il porte costume marron et chemise blanche. Et il arbore une cravate à grosses rayures rouges, grises et bleues. Tout au long de l'audience, il amuse la galerie, monopolise la parole. Il ne s'offusque pas à l'évocation de ses manifestations de coprophagie en prison. Il écoute, l'œil malicieux, un témoin se souvenir de «l'odeur nauséabonde » qu'il dégage parce qu'il passe son temps à manger beaucoup d'ail pour prévenir un éventuel accident cardiaque. Agé de 64 ans –il ne les fait pas -, Nadir Sedrati est un «escroc», un «fabulateur», un «manipulateur», un «menteur». Il le revendique haut et fort. Son langage imagé et haut en couleur fait souvent sourire quand il ne provoque pas de francs éclats de rire. Mais, lui, n'oublie jamais la raison de sa présence dans le box et chacune de ses interventions n'a qu'un but : tenter de démontrer son innocence. Son casier judiciaire comporte déjà une quinzaine de condamnations, pour vols, contrefaçons, escroqueries et usurpations d'identité. Il ne renie rien de ce passé, qu'il évoque même avec un certain orgueil. Mais, devant la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle, il devait répondre de faits autrement plus graves : l'assassinat, en 1999, de trois anciens codétenus rencontrés au gré de ses incarcérations au centre de détention de Saint-Mihiel (Meuse). Jusqu'au bout, il aura clamé son innocence. Et mangé de l'ail pour avoir une haleine fétide et incommoder le prétoire. Arrêté le 21 juillet 1999, Sedrati est né en France et il a gardé sa nationalité algérienne. Il était également poursuivi pour falsification de documents administratifs. Et notamment soupçonné d'avoir endossé les différentes identités volées pour toucher de l'argent, grâce à aux cartes bancaires. Encore plus, il a essayé de toucher des pensions. L'accusation le soupçonne d'avoir tué puis découpé en morceaux Hans Gassen, un ressortissant allemand, et Gérard Steil, tous deux disparus à leur sortie de prison. De mai à novembre 1999, des restes humains ont été remontés du canal de la Marne au Rhin, dans la région nancéienne, identifiés comme étant ceux des deux victimes présumées de Nadir Sedrati. Le corps du troisième homme, Norbert Ronfort, également disparu à sa sortie de prison, n'a jamais été retrouvé. Un point commun relie toutes ces affaires : à chaque fois, Nadir Sedrati a usurpé, ou tenté d'usurper, l'identité des trois victimes. Pour l'accusé, cela ne prouve rien. «Un escroc, c'est un malin, un manipulateur, mais c'est pas un tueur, affirme-t-il devant ses juges. Je n'avais pas besoin de tuer pour des papiers ou de l'argent». Depuis l'ouverture de son procès, l'accusé soutient une thèse édifiante. Les crimes auraient pu être commis par plusieurs hommes dirigés par Hans Muller, un ancien codétenu allemand suspecté par Nadir Sedrati d'être à la tête d'un réseau de trafic de drogue. Une thèse évidemment combattue par l'avocat général, pour qui le couteau et les scies ont « servi à dépecer les trois victimes, et le dépeçage signe le crime d'un seul homme ». Hormis Hans Gassen, l'une des victimes, qu'il aurait tué pour de l'argent, «parce qu'il pensait toucher le gros lot», l'accusé aurait, pour les deux autres, «des paumés et des isolés», repris ses «habitudes : un petit escroc, un petit tueur, de petites victimes et de petits profits». Ses explications sont peu convaincantes, mais Sedrati est un optimiste. Il a, par le passé, été acquitté, en 1985, par la Cour d'Assises de Charente-Maritime, du meurtre d'André Gachy, un enseignant à la retraite dont il avait usurpé l'identité. En 1994, il a bénéficié, à Créteil, d'un non-lieu dans le cadre de l'enquête sur la disparition de Léon Krauss, un sexagénaire dont il avait aussi utilisé les papiers d'identité. Dans ces deux affaires, la police n'a jamais retrouvé les corps des victimes. Et pour renforcer encore sa bonne foi, il montre du doigt une autre de ses victimes, présente dans le prétoire. «Joël Royer, je lui ai pris ses papiers, mais je l'ai pas tué, il est là, dit-il. Philippe Grossiord, c'est pareil, il va venir témoigner, je lui ai pris son identité et il est toujours vivant (...) ». Aucun des témoins qui défilent à la barre ne trouve grâce à ses yeux et, dès qu'ils ont terminé leur intervention, il passe à l'offensive. Quand un ingénieur du laboratoire de police scientifique de Lille vient rendre compte de l'analyse du contenu d'un bocal d'un kilo de poudre blanche retrouvé au domicile de l'accusé, il joue les naïfs. « (…) Même avec beaucoup de sucre, c'est impossible d'en faire boire à quelqu'un dans un café ». Le ministère public soupçonne pourtant Nadir Sedrati d'avoir empoisonné certaines de ses victimes au cyanure avant de découper leur cadavre et d'en jeter les morceaux dans le canal de la Marne au Rhin. Des accusations réfutées par l'intéressé, qui affirmera avoir acheté ce cyanure à la demande de Hans Muller, un autre de ses anciens codétenus, dans le cadre d'un trafic avec des chercheurs d'or colombiens. L'explication - en fait, un monologue - dure deux heures, pendant lesquelles l'accusé va présenter une version inédite des faits, mais tout aussi abracadabrante. En substance, les trois victimes auraient été impliquées dans un vaste trafic de drogue entre l'Espagne et les Pays-Bas, dont Hans Muller aurait été la tête pensante. Et d'assurer que lui-même se serait contenté de rendre service à ses anciens codétenus en mettant à leur disposition l'appartement qu'il louait à Laxou, dans la banlieue nancéienne ou en achetant du cyanure de potassium et une broyeuse, « pour les feuilles de haschisch ». La broyeuse à végétaux, dont l'accusation craint qu'elle ait pu servir à des fins plus macabres, a été présentée au jury, mardi 30 avril, provoquant l'ire de l'accusé. «Mesdames et messieurs les jurés, je vous demande de ne pas fantasmer dans votre tête, lance-t-il. Ça, c'est une connerie, une vraie connerie. Sincèrement, c'est impossible de passer un corps là-dedans ». Un laboratoire a bien trouvé dans la machine une trace d'ADN humain, mais sans être en mesure de dire s'il s'agit de sang. Un autre n'a tout simplement décelé aucune empreinte génétique. Et à propos des taches de sang retrouvées sur des scies à métaux et sur le linoléum de son appartement, il dira qu'ils « se sont coupés avec une scie en débitant du haschisch». Rien ne peut expliquer néanmoins que dans son petit appartement on ait retrouvé une broyeuse. Les ADN identifiés correspondent à ceux de deux autres de ses victimes présumées : Gérard Steil, dont des morceaux de cadavre ont été retirés du canal de la Marne au Rhin, et Norbert Ronfort, dont le corps n'a jamais été retrouvé. Ses avocats admettent que Nadir Sedrati est bien un escroc, mais ils nient qu'il soit capable de tuer. Evoquant les deux autres victimes, Norbert Ronfort et Gérard Steil, ils ont indiqué que rien ne permettait d'affirmer qu'ils étaient morts. Le corps du premier n'a, en effet, jamais été retrouvé. Pour le second, ils ont mis en doute les expertises génétiques, affirmant qu'il n'y avait pas une certitude absolue que le morceau d'omoplate retrouvé dans le canal de la Marne au Rhin lui appartienne. Vendredi 3 mai, il a été condamné par la cour d'assises de Meurthe et Moselle à la prison à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de 20 ans. « Je vous demande de bien réfléchir avant de commettre une erreur, je ne suis pas un assassin». Une supplique restée sans effet. Après quatre heures de délibéré, la cour et les jurés l'ont envoyé en prison. Pour longtemps.