Un jeune homme de 24 ans, qui avait jusqu'ici la réputation d'un garçon sympathique et sans histoires, s'est transformé subitement en monstre qui a tué froidement une connaissance à lui. Le mobile n'est autre que le vol. L'accusé risque gros. Casablanca. En ce jeudi 2 juin 2004, vers 17h00, Annie Chartier-Bouâlam, ressortissante française résidant au Maroc depuis 1978, est encore à son bureau de la société Quatec spécialisée dans la climatisation et située au troisième étage de l'immeuble n°5 sis rue Rouget de L'Isle. Une rue perpendiculaire au boulevard Abderrahmane Essahraoui, au centre-ville. De manière générale, elle sort vers 17h 30 et rentre chez elle au plus tard vers 20h. Mais aujourd'hui, elle n'est pas rentrée ni à 18h ni à 20h. Son mari, quinquagénaire, s'est inquiété. Où pouvait-elle être en ce moment ? Est-elle encore à son bureau ? Il lui a téléphoné à maintes reprises, sans avoir de réponse. Pourquoi ne veut-elle pas répondre ? Est-elle à ce point occupée? Les questions se bousculaient dans sa tête. Les aiguilles de sa montre tournaient et le temps passait, 21h00, puis 22h00 et 23h00. Elle n'est toujours pas rentrée chez elle. Bien que son inquiétude cédât la place à la crainte, le mari d'Annie a gardé sa patience et son espoir qu'elle rentrerait d'une heure à l'autre. Seulement, vers minuit, des idées noires ont commencé à lui passer par la tête. Peut-être a-t-elle eu un accident grave? Etait-elle dans la salle de réanimation d'un hôpital ou d'une clinique ? De toute façon, il fallait réagir. Il a pris sa voiture pour se retrouver, quelques minutes plus tard, devant la porte de l'immeuble de la rue Rouget de L'Isle. En levant ses yeux vers les fenêtres du troisième étage, il a remarqué que la lumière etait restée allumée. Et il a pensé que sa femme était encore dans son bureau. Mais pourquoi ne lui a-t-elle pas téléphoné pour l'aviser qu'elle rentrerait en retard ? C'est elle qui détient la réponse. Bouâlam, époux d'Annie, a appuyé sur le bouton de l'interphone. Pas de réponse. Son cœur battait la chamade. Qu'est-il arrivé à sa femme ? Il a sonné une deuxième, une troisième, puis une énième fois. Toujours pas de réponse. Aussitôt, il a avisé la police. Aussitôt, des éléments de la brigade criminelle préfectorale de la PJ de Casablanca se sont dépêchés sur les lieux pour effectuer un constat d'usage. Arrivés devant la porte de l'appartement où siège la société, l'un d'eux a sonné. Personne ne leur a ouvert la porte. Alertés, les éléments de la Protection civile se sont chargés de l'ouverture de la porte. Le consul de France était également sur place. Quelques pas à l'intérieur de l'appartement et les limiers ont découvert le corps d'Annie, baignant dans une mare de sang, couvert d'hématomes et criblé de sept coups d'un objet tranchant, dont un au niveau du cou. Devant ce triste spectacle, le mari a perdu la tête et ses nerfs. Il n'aurait jamais pensé se retrouver dans des circonstances pareilles. Les enquêteurs ont entamé leurs investigations, lesquelles les ont conduits vers le réduit du concierge. Là, ils ont trouvé un couteau. C'est l'objet utilisé pour le crime. Ils ont également découvert des vêtements maculés de sang. Ce sont ceux d'Abdelkrim Saber, fils du gardien de voitures le jour et petit-fils du veilleur de nuit dans la même rue. Tous les indices le mettent en cause. Aucun des voisins tirés cette nuit de leur sommeil n'aurait cru Abdelkrim capable de ce crime atroce. Issu d'une famille pauvre, le jeune homme de 24 ans rendait de menus service à tout le voisinage contre des petits pourboires. Il a passé quelques années à l'école et au collège pour se retrouver du jour au lendemain à la rue. Son père et son grand-père l'emmenaient avec eux depuis son adolescence pour les aider ou passer quelques moments avec eux. Les habitants l'avaient accueilli comme un des leurs. Il s'est familiarisé à eux et ils se sont habitués à lui. Annie Chartier le connaissait aussi et lui demandait d'une fois à l'autre de lui faire une course. Il répondait toujours positivement. Elle aussi l'aidait matériellement surtout qu'il est asthmatique et tout le monde savait que seul sa grand-mère l'aidait à acheter les médicaments nécessaires pour le traitement qui lui coûtait mensuellement 1.300 dirhams. De coutume, il passait la nuit soit chez lui au quartier Laâyoune, soit chez ses grands-parents à Sidi Bernoussi. Les enquêteurs se sont rendus dans ces deux maisons pour le surprendre dans son lit. En vain. Où se trouve-t-il ? Personne n'a la réponse à ce moment-là. Vendredi 3 et samedi 4 juin, les limiers de la brigade criminelle n'ont pas fermé leurs yeux. Ils devaient mettre la main sur Abdelkrim le plus tôt possible pour savoir s'il était l'assassin de la Française. Quelque 48 heures plus tard, il a été repéré à Marrakech. Sans perdre une minute, les enquêteurs se sont rendus dans la Cité Ocre et sont arrivés à l'épingler facilement, la nuit du dimanche 5 juin. Conduit à Casablanca et plus précisément vers les locaux de la préfecture de police, Abdelkrim a avoué être l'auteur du crime. Il a précisé aux enquêteurs avoir pensé à son crime trois jours avant de passer à l'action. Son mobile était le vol. Quand il a sonné, Annie lui a ouvert la porte. “Je voudrais une carte visite de la société pour une femme que je connais“, lui dit-il. Elle lui a demandé de la faire venir chez elle. Une fois qu'Annie lui a tourné le dos pour rentrer, il lui a asséné un coup de couteau. Lorsqu'elle est tombée par terre en criant, il a verrouillé la porte pour retourner vers elle. Elle a tenté de résister en lui serrant ses parties intimes. Seulement, il a plus de force qu'elle et l'a étranglée au point qu'elle a perdu connaissance. Aussitôt, il a commencé à lui asséner des coups de couteau. Après quoi, il a cherché de l'argent. Il n'a trouvé que 40 dh dans son sac à main et 2 040 dh sous le coffre-fort, à l'intérieur duquel il n'y avait pas d'argent. Il s'est lavé les mains à la cuisine et s'en est allé rejoindre sa grand-mère, pour ensuite prendre, le lendemain, la route de Marrakech. Lors de la reconstitution du crime, lundi dernier, les habitants du quartier n'arrivaient toujours pas à croire que le jeune homme, tranquille, calme et serviable s'est transformé en un clin d'œil en monstre. Abdelkrim a été traduit, mardi, devant le procureur général près la Cour d'appel de Casablanca.