ALM : Quelle définition faites-vous de l'erreur judiciaire ? Mohamed Taieb Omar : En fait, le Code de procédure pénale (CPP) ne donne pas de définition précise à la notion de l'erreur judiciaire. Ceci dit, évoquant la révision, le CPP stipule dans son article 565 qu'une personne condamnée à tort pour un crime ou un délit qu'elle n'a pas commis est en mesure de demander réparation de l'erreur. Celle-ci n'est recevable qu'une fois toutes les voies de recours épuisées. Le tribunal se basant sur un certain nombre d'éléments de preuves, peut être induit en erreur en acquittant le vrai coupable et en culpabilisant un innocent. Dans certains cas, les tribunaux prononcent des jugements de culpabilisation alors qu'ils ont un doute à propos de l'identité du vrai coupable. Qu'en pensez-vous ? Absolument pas. À chaque fois que le tribunal a un doute et que le suspect dément catégoriquement les accusations qui lui ont été attribuées, il s'abstient de prononcer un jugement de culpabilisation. D'ailleurs, c'est l'intime conviction du tribunal qui joue le rôle de premier plan dans ce cadre. L'article 286 du Code pénal est clair. Il dispose que le juge rend un jugement suivant son intime conviction. Même la Cour suprême n'est pas en mesure de remettre en question l'intime conviction du tribunal, mais uniquement la motivation de l'arrêt et le volet procédural. Dans certains cas, c'est le justiciable lui-même qui induit en erreur le tribunal. Peut-on parler dans ce cadre de l'erreur judiciaire ? Certes, dans certains cas, certaines personnes seraient en mesure d'induire le tribunal en erreur et ce dans deux principaux cas. Dans les années 74 et 75, certaines personnes se réclamant adeptes de la pensée gauchiste, maoïste ou même les islamistes prétendaient être impliqués dans des événements bien déterminés pour rentrer en prison. Aussi, on peut avoir, par exemple, une personne qui révèle être responsable d'un fait criminel pour épargner un proche. Mais dans ces cas, on ne peut pas parler d'erreur judiciaire, car ce n'est pas le tribunal qui se trompe d'éléments de preuve mais c'est le justiciable qui l'induit en erreur. Que reprochez-vous aux dispositions du Code de procédure pénale en matière d'erreur judiciaire ? En fait, les dispositions du Code de la procédure pénale sont claires (voir encadré «que dit la loi» page II). Le seul reproche que j'ai, en réalité, se rapporte à l'article 567 du CPP. Cet article dispose que «lorsque après une condamnation, un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats sont présentées, de nature à établir l'innocence du condamné» le droit de demander la révision appartient «au ministre de la Justice seul». Je ne comprends pas pourquoi la loi a accordé ce droit au ministre et non pas à l'intéressé lui-même. Ceci est en mesure de nuire à la victime d'une erreur judiciaire au cas où par exemple le ministre de la Justice s'abstient de demander la révision. À l'heure actuelle, des commissions s'attellent sur la révision des dispositions du CPP et je crois que cet article doit être revu. Quel est le tribunal compétent en matière de réception des demandes de révision? C'est la Chambre criminelle de la Cour suprême (CS) qui doit être saisie pour examiner la demande de révision d'un jugement entaché d'une erreur judiciaire. Le fait que la Chambre criminelle de la CS soit la seule compétente en matière de demande de révision, n'est-elle pas en mesure de nuire à la victime de l'erreur qui aura à supporter des frais de déplacement ? En fait, les dépenses du procès sont supportées par la Trésorerie générale du Royaume. En plus, le justiciable qui s'estime victime d'une erreur pourrait demander réparation auprès du tribunal compétent. L'exécution du jugement de réparation ne prend pas normalement beaucoup de temps. Le justiciable est en mesure de demander la saisie-exécution même sur des établissements publics pour recouvrir ses droits. Quelle est la part de responsabilité de l'avocat chargé de prendre la défense d'un justiciable en matière d'erreur judiciaire ? En fait, l'avocat est toujours appelé à traiter les affaires qui lui sont confiées d'un point de vue humanitaire en premier lieu. De par ma longue expérience, j'ai eu l'occasion de traiter plusieurs affaires au stade de la cassation. J'ai découvert à plusieurs reprises qu'il y a eu des erreurs judiciaires au premier degré ou bien au deuxième degré de juridiction et ce en raison d'une négligence ou d'une faute à imputer à l'avocat. Soit qu'il a dû soulever une prescription, soit qu'il n'a pas su soulever une preuve importante. Toute l'affaire se rapporte donc au sens de responsabilité chez l'avocat et au degré de formation et de compétence du juge. La loi interdit-elle à l'avocat de faire sa propre enquête en marge de celle de la police pour éviter l'erreur judiciaire ? Absolument pas. Le principe c'est que l'avocat a le droit de défendre la victime ou le suspect dans une affaire par tous les moyens et ce depuis le déclenchement de l'enquête policière. Il a le droit de collecter les informations sur le terrain, se rendre dans les lieux du crime et faire sa propre enquête de façon parallèle pour rassembler des éléments de preuve. Au cas où il arrive à avoir des preuves outre que celles révélées par l'enquête policière, il a le droit de les notifier à la PJ ou au procureur général du Roi. Le malheur c'est que certains avocats malhonnêtes ne prennent nullement au sérieux les dossiers qui leur sont confiés. Il y en a même certains qui ne lisent le procès-verbal établi par la PJ qu'à la rentrée dans la salle du tribunal. Lamentable. Qu'en est-il du rôle de la Police judiciaire ? En réalité, la Police judiciaire assume la grande responsabilité en matière de l'erreur judiciaire. Au Maroc, le problème c'est que la Police judiciaire ne possède pas tous les moyens lui permettant d'accomplir sa mission dans de bonnes conditions. La PJ doit avoir des voitures de police suffisantes et avoir suffisamment d'effectifs de police. Par exemple, dans une ville qui compte un million d'habitants, une PJ qui ne possède que huit policiers se trouvera dans l'impossibilité de contenir tous les crimes ou délits qui pourraient avoir lieu et de faire des enquêtes policières. En plus des moyens, les officiers de la PJ doivent être conscients de la délicatesse de leur mission. Le CPP stipule que tout suspect est présumé innocent jusqu'à ce que le contraire soit prouvé. Ainsi, c'est la PJ qui mène l'enquête policière pour rassembler tous les éléments de preuve dans une affaire donnée. Avec un procès-verbal bien ficelé, le tribunal saisi d'une affaire aura plus de chance de rendre un jugement juste et dans le cas contraire, il faut s'attendre tout naturellement au pire, un innocent pourrait par conséquence être culpabilisé ou un coupable pourrait être innocenté. Ne pensez-vous pas que les médias peuvent induire le tribunal en erreur dans le cadre d'une affaire ? Il faut dire que la presse joue généralement un rôle très important. SM le Roi Mohammed VI a évoqué clairement à l'occasion de son discours adressé à la Nation le 20 août dernier le quatrième pouvoir et son influence directe sur le pouvoir judiciaire. Ceci dit, le juge comme le pouvoir judiciaire est indépendant à l'égard des médias et du pouvoir exécutif. Il doit de ce fait faire la sourde oreille à propos de tout ce que dit la presse dans le cadre d'une affaire pour pouvoir rendre un jugement en toute neutralité et impartialité. Comment une personne condamnée à tort pourrait obtenir des dommages et intérêts ? La procédure de révision d'un jugement se fait auprès de la Chambre criminelle de la Cour suprême et une fois la victime déchargée des accusations qui lui avaient été adressées, elle est en mesure de demander auprès du tribunal administratif des dommages et intérêts au titre du préjudice qu'elle a subi. Le problème c'est que les dommages et intérêts alloués aux victimes au Maroc ne sont pas aussi importants que le préjudice moral et matériel subi par la victime. Les dommages et intérêts alloués aux victimes de l'erreur judiciaire sont vingt fois plus importants en France par exemple. Plusieurs associations de défense des droits de l'Homme ne cessent d'appeler à l'abolition de la peine capitale évoquant le risque de l'erreur judiciaire. Qu'en pensez-vous? Concernant la question de l'abolition de la peine capitale, il y a deux tendances. L'une appelant à la suppression de cette peine au Maroc pour s'inscrire dans la tendance mondiale en la matière. L'autre tendance appelle au maintien de cette peine étant donné le référentiel islamique du Maroc notamment la loi du talion. A l'époque où feu Bouzoubaâ occupait le poste de ministre de la Justice, j'ai fait partie d'une commission pour la révision des dispositions du droit pénal. On avait soulevé à l'époque cette question et nous avons convenus de maintenir cette peine pour les crimes graves. Mais, il ne faut pas perdre de vue que cette peine n'a pas été exécutée au Maroc depuis très longtemps que deux fois seulement. Pour ces deux cas, l'affaire Tabet et l'affaire Moutachaouik il n'y a certainement pas d'erreur judiciaire. Aujourd'hui encore, je ne pense pas qu'on pourrait procéder à l'exécution de la peine de mort envers un suspect si le tribunal a le moindre doute car cela est de l'ordre de l'irréparable.