Incontestablement, un juge peut se tromper. Car l'erreur est humaine. Il peut punir un innocent, acquitter un coupable ou encore infliger à un accusé une peine inadaptée. Et c'est précisément parce qu'il peut se tromper que le législateur a institué des voies de recours permettant aux juges «réformateurs», en phase d'appel ou à la Cour suprême, de corriger ces erreurs d'appréciation qui ont pu être commises lors de l'examen initial. Cependant, le problème se pose avec acuité quand le condamné à tort a épuisé les voies de recours. C'est ainsi que le législateur marocain évoque la procédure de révision pour réparer l'erreur judiciaire (voir encadré page 8). Une erreur qui touche directement la liberté des personnes, qui met en boîte un droit fondamental de l'être humain et qui détruit la vie d'innocents et de leurs familles. En effet, en France, pour ne citer que l'exemple de ce pays dont la législation pénale a fortement inspiré le législateur marocain en la matière, il y a plusieurs études et débats consacrés à l'erreur judiciaire. Le système judiciaire français ne trouve pas de difficulté à admettre l'erreur judiciaire et à la reconnaître comme étant une réalité juridique contemporaine et immédiate. Qu'en est-il du Maroc? Pratiquement aucun débat, et ce, à tous les niveaux. Concernant les études, encore pire. A noter que dans le cadre de la réalisation de cette enquête, ALM avait sollicité une interview avec un magistrat, pour pouvoir traiter la question de l'erreur judiciaire sous tous les angles. Une demande a été adressée, à cet effet, le jeudi 29 septembre, au ministère de la Justice, puisque c'est de l'appareil judiciaire qu'il s'agit. Et ce n'est que le jeudi 14 octobre, à l'heure où l'enquête était en plein bouclage que le département de Mohamed Naciri a contacté ALM pour nous notifier l'accord du ministère pour la réalisation de cette interview sous réserve de soumettre les questions au préalable. Mais, contacté par ALM, le magistrat en question nous a affirmé qu'il fallait qu'il reçoit une autorisation écrite dans ce sens de la part de ses supérieurs… Histoire de la toile de Pénélope. Ceci dit, ALM a souhaité traiter la question de l'erreur judiciaire, malgré toutes ces difficultés, car les victimes de l'injustice sont là, parmi nous. L'équipe d'ALM a cherché les traces de quelques-unes parmi elles et en a trouvé trois. Trois personnes qui ont enduré injustement un calvaire douloureux durant des années. C'est à la rue Ben Chadlia à El Jadida, qu'ALM a retrouvé la première victime, M'hamed Nouri, qui a été condamné, avec son ami, Abdelouahed El Mouli, décédé il y a trois ans, à perpétuité pour un meurtre qu'ils n'ont jamais commis (voir témoignage pages 9, 10 et 11). Il a purgé huit ans avant que le vrai coupable, Mohamed Belahrach, n'ait été mis hors d'état de nuire. Bien que le tribunal administratif ait jugé qu'il devait bénéficier de dommages et intérêts de 1,5 million de dirhams, Nouri vit encore dans une indigence amère. Pour les deux autres personnes, Mohamed Sakhi et Abdelilah Kribel, ALM était obligé d'aller les chercher au douar Bouih, qui longe l'autoroute A1, reliant Casablanca à Rabat, dans la région d'Aïn Sebaâ (voir témoignage pages 13, 14 et 15). Un douar isolé du monde extérieur par un long mur, ressemblant, par conséquent, à un camp de réfugiés, qui offre le même spectacle de marginalisation, de tristesse, de souffrance, d'amertume, de détresse, de consternation que les autres bidonvilles casablancais. Contrairement à l'affaire d'El Jadida, le déplacement au douar Bouih était périlleux. à l'entrée du douar, l'équipe d'ALM a été menacée d'agression par Réda, le faux témoin qui a mouillé Mohamed Sakhi dans l'affaire de l'agression du ressortissant français, sa maîtresse et son chauffeur à Casablanca. Mais, l'équipe a décidé d'aller jusqu'au bout malgré les dangers qui entourent cette mission. Elle les a rencontrés, les a écoutés attentivement. Elle a ressenti leur souffrance et l'injustice qu'ils avaient subie. En effet, ces victimes de l'injustice étaient des gens qui pouvaient «être facilement dans l'auto ou l'hétéro-agressivité», comme l'a signalé le psychiatre Hachem Tyal (voir entretien page 12). Aussi, selon ce dernier, ces victimes «sont amenées à se suicider facilement» en raison du calvaire qu'elles ont enduré. Heureusement, les trois victimes de l'erreur judiciaire que ALM a rencontrées essaient de reprendre leur vie en main et enterrer les blessures du passé. Cela dit, la grande question qui se pose est celle de savoir : qui assume la responsabilité de ces erreurs judiciaires ? L'avocat Mohamed Taïb Omar, du barreau de Casablanca, suppose que la police judiciaire assume la grande responsabilité, étant donné qu'elle ne dispose pas de tous les moyens lui permettant d'accomplir sa mission dans de bonnes conditions. (voir entretien pages 16 et 17). Les instances de protection des droits de l'Homme ne sont pas en reste dans cette affaire. Amina Bouayach, présidente de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH), estime que le risque de l'erreur judiciaire pourrait être réduit en «inscrivant la consécration des voies de recours et d'équité dans le cadre de la réforme du système judiciaire» (voir entretien page 18). La militante des droits de l'Homme confirme que les ONG n'ont pas encore investi ce thème de l'erreur judiciaire étant donné que «la mise en place des mécanismes de prévention contre l'erreur judiciaire est une étape ultérieure qui viendra après la consécration des garanties du procès équitable». En attendant la consécration des garanties du procès équitable, tant souhaitée par les organisations de défense des droits humains, l'ouverture d'un débat à propos de cette question aura au moins le mérite de sensibiliser les avocats, les juges, les responsables de la Police judiciaire ainsi que les justiciables aux conséquences néfastes que l'injustice produite par l'appareil judiciaire pourrait avoir sur les victimes. M'hamed Nouri, Mohamed Sakhi et Abdelhadi Kribel en sont les témoins. Enquête réalisée par : Abderrafii Al Oumliki et Mohamed Aswab