Au 19e jour du Ramadan, est-il prématuré de parler de la fête de l'Aid El Fitr? Cette cérémonie célébrant la fîn du jeûne est diversement vécue, à travers le globe. Dans le Sokoto (extrême nord-ouest du Nigeria), l'un des 12 Etats nigérians où la Charia est appliquée depuis 2000 comme au premier jour de l'Hégire, cette fête est spéciale. La célébration est marquée par le «Durbar», spectaculaire défilé de cavaliers Haoussa-peul et d'émirs, en tenue d'apparat. Des bataillons de fusiliers, de fantassins rivalisent d'élégance avec les cavaliers, attirant au passage la jalousie de l'armée fédérale réduite au rôle de maintien de l'ordre. Evidemment, la fête est rythmée par des coups de feu. D'interminables confrontations de lutteurs et de joueurs de luth, les têtes surmontées de coiffures relèvent le niveau du spectacle. Il y a trois ans, cette fête avait coïncidé avec la célébration du bicentenaire d'Ousman Dan Fodio, fondateur du Califat du Sokoto en 1804. Ce musulman réformateur avait lancé le Djihad dans la région semi-désertique qui entoure Sokoto. Avec environ 25.000 hommes au départ, il est parti à la conquête d'un royaume de 650.000 kilomètres carrés allant du Tchad et du Cameroun jusqu'au Burkina. Libérant les peuples de la région du féodalisme, il introduisit les écoles islamiques et un gouvernement tolérant envers les groupes minoritaires. Pour beaucoup de Nigérians du nord, cette célébration est l'occasion d'un retour nostalgique sur un âge d'or au cours duquel le sultan de Sokoto régnait sur plus de 30 émirats et un territoire allant jusqu'au Mali et au Sénégal. Lors du bicentenaire en 2004, un certain nombre de chefs d'Etat de la sous-région étaient invités pour assister, aux côtés du président nigérian Olusegun Obasanjo, à un défilé de 1 400 chevaux et 200 chameaux accompagnant le sultan du Sokoto, reconnaissable à son ombrelle blanche tenue au-dessus de sa monture par des gardes. Alliée de l'Etat du Sokoto, une importante délégation de Touaregs était aussi de la fête. Ces derniers ont exécuté une sorte d'allégeance au sultan du Sokoto, renouvelant ainsi un rituel vieux de plus de deux cents ans. Chevaux et chameaux bien harnachés défilèrent, par la suite, devant une foule nombreuse. L'animation en cette journée spéciale contraste avec l'ambiance pieuse de Ramadan. Le juju, l'afrobeat et le reggae, musiques des rues nigérianes, sont mis en berne durant toute la période du jeûne. Normal dans une société à dominante sunnite, conservatrice, penchant vers le mysticisme soufi. Il faut dire que dans l'Etat islamique du Sokoto, les autorités veillent à ce que rien ne distrait les fidèles de leur dévotion durant le mois sacré. Par conséquent, l'animation est réduite au strict minimum, c'est-à-dire aux appels à la prière émanant des muezzins. A noter, par ailleurs, que l'influence du sultan de Sokoto s'étend encore aujourd'hui sur les 65 millions de musulmans du Nigeria et des millions d'autres musulmans des pays voisins.