Deuxième jour de Ramadan. Il est neuf heures du matin. Dans une ruelle du quartier Benjdiya, à Casablanca, on s'affaire déjà à recevoir l'afflux des clients. Dans un café transformé en atelier de production de pâtisseries au miel, des bassines de Chebbakiya et de Mkharrqa tendues de film plastique alimentaire attendent d'être livrées à la voracité publique. Dans un coin du local entièrement réaménagé pour les besoins de l'activité, un homme en tablier blanc et son aide transvasent le contenu d'une bassine dans une autre. Dans la première, un agglomérat de débris de Mkharrqa. Dans l'autre, une matière qui ressemble à du miel. L'opération est rendue malaisée par le fait que la spatule n'est pas assez rigide… et qu'elle finit par casser. L'homme à la blouse blanche finit donc le transvasement à la main, tandis que son aide s'efforce comme il peut d'empêcher la première bassine de sombrer dans la seconde. Les miettes de pâtisserie finiront dans le miel, le tout sera vendu au détail au cours de la journée, au pays des pâtisseries ramadaniennes, rien ne se perd, tout se vend du moment que c'est sucré. De 10 à 100 dirhams le kilo, il y en a pour toutes les bourses et pour tous les goûts, y compris pour ceux qui ont le goût mais pas les moyens. Pâte fine et craquante ou épaisse et moelleuse, copieusement épicée ou sobrement assaisonnée, enduite de miel ou de sucre fondu, avec ou sans colorant, la pâtisserie que vous emporterez finalement correspond à l'un des innombrables « segments » de ce marché sur lequel, chaque année, c'est la ruée. Les boutiques se reconvertissent, les marchands ambulants se jettent sur l'occasion, chacun y va de sa recette, de sa formule secrète. Et pour vous, ça sera quoi ? Mhkarrqa ou Chebbakiya ? Vous ne faites pas la différence ? C'est l'occasion ou jamais ! Première différence : la Mkharrqa est parsemée de grains de sésame, ce que ne prévoit pas le standard de la Chebbakiya. Deuxième différence : la pâte cuite de la Mkharrqa est fondante tandis que celle de la Chebbakiya est croquante. Troisième différence : il faut ajouter à la farine de la Mkharrqa des graines de sésame pilées, des jaunes d'œufs, du vinaigre et de la levure alors que la pâte de la Chebbakiya se résume à de la farine, du sel et de la levure. Zette Guinaudeau, qui a publié, en 1957, un livre consacré à la cuisine de Fès, décrit non sans poésie la façon dont elle a vu pratiquer à Fes Jdid l'art de produire la Chebbakiya : « Tenir entre le pouce et l'index d'une main un pot à fleurs rempli de pâte, l'annulaire de cette même main bouchant le trou du fond du vase, viser à bonne hauteur la poêle d'huile bouillante, lâcher l'annulaire et dessiner rapidement, avec la pâte coulante, une fleur à pétales ronds et enchevêtrés, d'environ quinze centimètres de diamètre. Faire dorer le gâteau des deux côtés, en le retournant avec un crochet de fer et le plonger bouillant dans le seau de miel liquide, l'y maintenir une minute environ… » Et c'est là que là Chebbakiya touche au sublime, dans la mesure où, poursuit Zette Guinaudeau : «par capillarité, les parties creuses de la pâte bien levée se remplissent de miel. Quand vous la croquez, la Chebbakiya vous éclate dans la bouche son suc épais et parfumé ». Il y a ainsi dans la Chebbakkiya un côté joyeux, presque enfantin, de pâtisserie surprise ! Rien de tel dans la Mkharrqa, dont la texture particulière et la saveur complexe, due au mélange sésame-jaune d'œuf-vinaigre, destinent à un autre mode de consommation, à un moment différent du rituel du repas de rupture du jeûne. Notamment en accompagnement de la Harira pour un subtil mélange salé-sucré… Patience, tout ces plaisirs vous sont promis sans restriction dès que la sonnerie aura retenti. En attendant, les employés de ce café transformé en atelier de pâtisserie se livrent à l'autre routine des préparatifs de la journée : produire, une à une, les feuilles circulaires de pâte fine qui servira à réaliser Briwate et Pastilla : la Warqa. Pendant ce temps, les montagnes de gâteaux au miel sous emballage plastique font saliver les passants. Mkharrqa ou Chebbakkiya? Vous n'y résisterez pas !