Une tournée dans la plupart des quartiers de la perle du Nord montre et démontre cette empreinte historique juive. Un nombre important d'anciens bâtiments et immeubles y ont été la propriété de Marocains de confession juive «surtout que nombre de riches juifs ont réussi, dans le passé, dans l'achat et la vente de biens immobiliers», précise-t-on. Tanger manque d'un mellah traditionnel, contrairement aux anciennes villes marocaines telles que Fès, Marrakech, Essaouira, Tétouan ou Meknès. Cependant, la perle du Nord englobe un certain nombre d'anciennes constructions et lieux de culte dont quelques-uns remontent à des siècles. Il y a même une rivière qui est connue officiellement par l'Oued Lihoud. «La rivière juive doit cette appellation à la traversée du détroit en 1492 par les juifs, pourchassés à l'époque par l'Espagne. Ils ont fait ainsi leur passage par l'Oued Lihoud qui porte, depuis, ce nom», indique Rachel Muyal, libraire à la retraite. Par ailleurs, le nombre de juifs a augmenté dans les années 20 et plus précisément lorsque Tanger devint, en 1923, ville internationale. La communauté juive se chiffrait, à cette date, à quelque 15.000 pour atteindre en 1955 le nombre de 17.000. «Cette communauté était bien structurée et organisée. Les riches veillaient sur les pauvres», se souvient Mme Muyal. La ville de Tanger, à elle seule, comptait autrefois dix-sept synagogues. Il n'en reste actuellement que sept dont les synagogues Suiri, Bengio, Nahon et Chaar Raphaël. Cette dernière, qui a été rénovée, surplombe le grand boulevard Pasteur. Elle est la seule synagogue ouverte à la prière pour un nombre très réduit de juifs de Tanger. «Le nombre de juifs s'élève actuellement à 75 dont la moyenne d'âge se situe entre 80 et 85 ans. Une quinzaine d'entre eux réside dans une résidence pour personnes âgées. Nous trouvons, de ce fait, des difficultés à effectuer la prière collective, qui exige la présence d'au moins dix fidèles», explique Mme Muyal. Se distinguant par son architecture spécifique, la synagogue Chaar Raphaël est très visitée par les juifs d'origine tangéroise qui résident à l'étranger. Ceux-ci ne peuvent pas venir à Tanger sans rendre visite au plus vieux cimetière juif de la ville. Situé à la rue du Portugal, ce cimetière qui connaît actuellement de grands travaux de réaménagement et de nettoyage des tombes occupe un beau site. Lequel jouit d'une belle vue sur la mer. Ce cimetière qui se situe parmi les premiers bâtiments construits à l'extérieur des remparts de l'ancienne médina se trouve en face du célèbre souk Fendak Chejra. Les visiteurs de cet endroit peuvent découvrir les tombes des juifs ayant été très connus à Tanger, considérée à l'époque comme capitale diplomatique. Le second cimetière juif de la ville, sis à la route de Rabat, s'étend sur une superficie d'environ 10.000 m². Il a déjà bénéficié de travaux de réaménagement. Les anciens Tangérois se rappellent des rites funéraires pratiqués à l'époque et suite au décès d'un juif. Ils soulignent la grande mobilisation et solidarité qui existaient entre les membres de la communauté juive tangéroise. «Nous nous connaissions tous. Je me souviens d'un cortège funéraire juif, auquel je prenais part. La forte présence que connaissait cet événement funéraire provoqua l'arrêt de la circulation», raconte Mme Muyal. Pas loin du premier et vieux cimetière juif de Tanger, se trouve l'ancienne synagogue Nahon. Construite en 1876, celle-ci- qui a été rénovée en 1994- vient d'être convertie en un musée. Il comporte des objets de culte hérités des anciennes synagogues, qui sont actuellement fermées ou n'existent plus. Les visiteurs peuvent y découvrir des lustres anciens, des verres utilisés par des saints juifs, des tableaux brodés en hébreu. Outre les synagogues et les cimetières, Tanger compte plusieurs monuments juifs dont des anciennes résidences et des écoles, qui accueillent actuellement des élèves de confession musulmane. D'ailleurs, la récente démolition de l'ancien hôpital juif Benchimol, construit en 1889, a provoqué la colère et l'indignation de toute la communauté juive mais aussi de tout le reste des Tangérois. Destiné à la communauté juive de l'époque, cet hôpital accueillait également les autres habitants de la ville de confessions aussi bien musulmane que chrétienne. Certes, les anciens juifs tangérois avaient de grandes choses à partager avec leurs concitoyens musulmans, à savoir leurs styles vestimentaires et gastronomiques. «Nous partageons certaines recettes avec une petite différence tel que le couscous que nous servons dans nos habitudes juives sucré et à la cannelle», dit Mme Muyal. Les anciens juifs de Tanger se distinguaient également par leurs anciennes traditions et coutumes. Toutes leurs fêtes aussi bien religieuses que familiales ont été célébrées suivant les rites religieux juifs. D'anciens fours publics de l'ancienne médina ont été réputés pour la cuisson des repas traditionnels du jour du Sabbat notamment la Skhina, la Dafina et l'Orissa. Ils ne désemplissaient pas à cette occasion de plateaux de ces délices gastronomiques tangérois, qui comportaient des inscriptions ou des signes désignant des familles juives. Les noms de ces familles juives sont toujours retenus par les anciens Tangérois. Ce qui affirme cette coexistence qui a toujours régné entre les trois religions monothéistes à Tanger.