Lors du dernier conseil d'administration de la CGEM, tenu le 15 avril, les professionnels du transport ont saisi l'occasion pour exprimer de nouveau leurs préoccupations, à travers leur fédération dont les responsables ont dressé un tableau de l'état actuel du secteur. Et le moins qu'on puisse dire est que la situation n'est guère reluisante malgré la multitude de chantiers de réformes qui sont lancés. Car bien avant l'arrivée de l'actuel gouvernement avec son lot d'annonces, dont la plus spectaculaire était celle relative aux fameux agréments, d'autres actions étaient lancées depuis des années. On peut en citer la réforme du transport routier de marchandises, initiée du temps de l'ancien ministre, Karim Ghellab, le dispositif mis en place pour l'encouragement du renouvellement du parc ou encore la stratégie nationale pour la logistique. Or force est de constater qu'aucune de ces actions n'a encore réellement pris sa vitesse de croisière, certaines n'ayant même pas encore démarré. C'est le cas précisément du renouvellement du parc et de la stratégie de la logistique. Pour le premier dispositif, il suffit de voir l'état actuel du parc de camions qui circulent sur les routes. Ainsi, et selon les derniers chiffres de la Fédération du transport (affiliée à la CGEM), l'âge moyen des véhicules, indicateur par excellence, est encore à un niveau très élevé. Pour le transport de marchandises, 61% des camions ont plus de 10 ans tandis que dans le transport de voyageurs l'âge moyen du parc est de 13 ans avec 58% des véhicules qui ont plus de 10 ans. Cette situation n'est pas due à un hasard puisque découlant naturellement de l'état du tissu d'entreprises qui opèrent aujourd'hui dans le secteur. Pour ce qui est du transport routier des marchandises, par exemple, 750.000 camions circulent aujourd'hui sur nos routes dont 125.000 sont dans la catégorie des plus de 14 tonnes (camions avec remorques). Et, c'est là un des plus grands dangers, sur ces 125.000 camions remorques, 40.000 selon la fédération, soit près du tiers, relèvent du secteur informel. Il est évidemment fort à parier que dans les catégories inférieures, le poids de l'informel est encore plus important. Le phénomène de l'informel va de pair avec ce que les professionnels appellent l'atomicité du secteur, c'est-à-dire la multitude de très petites entreprises qui y opèrent. La preuve, une fois de plus par les chiffres de la fédération : 9 entreprises sur 10 ont un ou deux véhicules tout au plus et 9 entreprises sur 10 aussi sont des structures individuelles. Dans le segment du transport des voyageurs, on retrouve pratiquement les mêmes caractéristiques. Ainsi, 7 entreprises sur 10 sont individuelles et 8 sur 10 possèdent un à deux véhicules. Et les choses ne semblent pas près de changer. Car, en plus des chantiers de réformes restés encore sans grands résultats à ce jour, la grande stratégie nationale pour la logistique est encore en grande partie toujours sur papier. Cette stratégie, lancée en grande pompe en avril 2010, n'est visiblement que très peu avancée. La preuve, sur les 10 contrats d'application qui devaient lui donner corps, à peine un seul est aujourd'hui en marche, à savoir le contrat relatif à la régulation et la mise à niveau des acteurs du transport routier de marchandises, signé en juin 2011. Les neuf autres ne sont toujours pas élaborés et ils concernent, en majorité, la déclinaison de la stratégie logistique en plans régionaux dans les grandes villes (Casablanca, Tanger-Tétouan, autres régions) et en plans sectoriels selon les flux (agro-industrie, matériaux de construction, distribution, énergie, import-export…), sans oublier un dernier contrat sur la formation et les ressources humaines. En tout neuf contrats d'application que les professionnels attendent depuis 2010. En vain. Mais aujourd'hui, et tel que cela a été exprimé lors du dernier conseil d'administration de la CGEM, les professionnels s'inquiètent encore davantage de la situation du secteur dont la compétitivité, disent-ils, est au plus bas. D'abord, à cause du coût des intrants, notamment le gasoil. Les professionnels, à travers leur fédération, appellent ainsi à l'instauration de la notion de gasoil professionnel vendu à un prix spécial, à l'instar de ce qui se fait dans certains pays d'Europe. Mais ce n'est pas tout. Les transporteurs réclament également un taux de TVA aligné sur le même niveau que les pays de l'Union européenne ou encore le principe de l'indexation qui consiste à répercuter automatiquement le prix du gasoil sur le tarif de transport. Et, fait étonnant, les transporteurs font preuve d'une position tranchée, voire courageuse en matière de délais de paiement puisque la fédération demande à ce que le délai maximal pour le secteur soit ramené à un mois seulement alors que la loi, entrée en vigueur en janvier 2013, le fixe à 60 jours et 90 jours en cas d'accord express entre les parties. Il faut y voir là les effets de la crise économique, les transporteurs souffrant certainement d'un manque de liquidité à cause du rallongement des délais de règlement. En matière d'impôts, les transporteurs de voyageurs, eux, réclament un allégement de la pression fiscale au moment où, disent-ils, le secteur est fortement imposé avec pas moins de 13 impôts et taxes en tout. Certes, c'est la énième fois que les transporteurs sonnent le signal d'alarme. La cadence s'est nettement accélérée en 2012 depuis l'arrivée du nouveau gouvernement. Mais ce dernier ne semble toujours pas prendre la mesure de l'urgence. Car à l'exception des épisodes spectaculaires des listes d'agréments, il faut reconnaître que pour l'heure on en est toujours au point de départ ou presque. Un secteur qui fait travailler un million de personnes Le secteur du transport, toutes catégories confondues, est incontestablement aujourd'hui un des plus gros pourvoyeurs d'emplois au Maroc. Près d'un million de Marocains y travaillent. Il représente environ 6% du PIB et procure à l'Etat 15% de ses recettes fiscales. Selon les dernières estimations de la Fédération du transport, 750.000 camions circulent aujourd'hui sur les routes marocaines pour le transport de marchandises dont 125.000 sont des camions de plus de 14 tonnes et 93.000 véhicules pour le transport de personnes et de voyageurs. Le parc d'autocars assurant les liaisons interurbaines, en particulier, s'élève à 2.800 avec près de 1.500 entreprises qui y opèrent. A cela viennent s'ajouter quelque 3.500 véhicules (autocars et minibus) opérant dans le transport touristique. Pour ce qui est du transport urbain, enfin, le Maroc compte un millier d'autobus, 5.000 véhicules pour le transport privé de personnel et quelque 80.000 petits et grands taxis. 173.000 spécialistes à trouver d'ici 2030 Quand on pose la question aux professionnels sur les grands freins au développement d'une logistique moderne au Maroc, tous citent sans exception le problème de la rareté des compétences. Les profils qualifiés et spécialisés en logistique et métier de supply chain ne courent pas les rues. Et c'est pour cette raison précisément qu'un des contrats d'application du contrat-programme était destiné au volet formation. Selon les estimations faites à la veille de l'élaboration de la stratégie nationale de la logistique, le Maroc, d'ici 2015, aura besoin de 61.000 ingénieurs, cadres et techniciens spécialisés. Ce besoin sera de 173.000 à horizon 2030. Face à cette demande, on ne peut pas dire que l'offre est pléthorique. La preuve, l'institut national de formation aux métiers de transport qui a ouvert ses portes en 2004 à Casablanca a pu, à ce jour, sortir à peine 5.000 lauréats. On est très loin du compte…