La communauté musulmane, qui a entamé lundi le ramadan en Espagne, est forte de plus d'un million et demi de fidèles, dont la majorité est d'origine marocaine. C'est une estimation imprécise du fait que de nombreuses associations de musulmans avancent des statistiques peu concordantes. Dans les bulletins périodiques diffusés par des institutions officielles, seules paraissent des données fiables sur le collectif des Marocains. Ils sont actuellement 777.278, selon le recensement provisoire diffué en avril dernier. Dans toute statistique, les Marocains sont cités comme étant les représentants de la Oumma en Espagne. La communauté islamique, bien qu'elle soit la cible d'attitudes hostiles de la part de certains groupes d'extrême droite, est disséminée dans l'ensemble du territoire espagnol, occupée dans les différents secteurs économiques mais elle est victime de sa visibilité dans les médias. Elle comprend, par exemple à Madrid, 150.000 fidèles, 300.000 en Catalogne (Nord Est) et 47.000 à Navarre (Nord). Elle est aussi la plus représentative des grandes communautés d'étrangers pour former un caléidoscope d'ethnies, de cultures, de races et de langues. Elle se compose d'environ de 35 nationalités. L'absence d'études spécifiques rend toutefois difficile l'analyse de sa composition et de ses structures. La plupart des travaux de recherche et d'articles de presse versent dans la superficialité, l'amalgame et les commentaires sans référentiel. Souvent certains écrits sont bourrés de stéréotypes, de préjugés et images dénigrantes. C'est le collectif marocain qui est, dans ce cas pris comme repère. Avec l'avènement du mois de ramadan, cet ensemble d'impressions mal fondées se convertissent en éloges, en expressions empreintes de respect et parfois de reconnaissance et d'admiration. Bien qu'il existe une convention, signée en 1991 entre les fédérations d'associations islamiques et le gouvernement espagnol sur les droits du travailleur musulman pendant ce mois, certains chefs d'entreprises (et pas tous) passent outre le contenu de ce texte. De ce fait, le musulman est soumis au sein de l'entreprise aux mêmes conditions de travail que tout autre employé. Souvent, sa journée de travail se prolonge au delà du «ftour». Il ne bénéficie ni de périodes de repos garanties dans la convention collective ni de l'allégement de l'horaire du travail pour contingence. Pourtant, les températures sont dans certaines régions insupportables avec 40 degrés en moyenne au mois d'août. En cette période de crise et de chômage, le marocain ne peut revendiquer ces droits de peur d'être bonnement remercié ou former partie de la liste d'éventuels licenciés. Déjà, ce sont plus de 220.000 marocains qui sont en quête d'un emploi et plus de 85.000 sans-emploi de longue durée qui survivent grâce aux allocations de chômage qui sont souvent en-deça du Salaire Minimum Interprofessionnel. Le Marocain devient durant le mois du ramadan un fervent fidèle des mosquées, des ftours collectifs et des associations culturelles. Son degré d'intégration dans la société espagnole lui facilite une grande liberté de mouvement et de participation sociale. Il est aussi attaché à l'esprit groupal et corporatif. C'est le mois des rencontres entre familles et entre ceux qui partagent l'appartenance à la même région au Maroc. Il souffre cependant du malaise du bled, de l'incertitude permanente au marché du travail, du dépaysement à l'heure de pratiquer ses rites et prières, et de l'indifférence d'une société de consommation égocentrique qui se préoccupe uniquement du bien-être des siens. Le mois d'août est généralement pour la plupart des familles espagnoles la grande période estivale. Les entreprises se vident de leur personnel, les rues des grandes villes sont désertées par les conducteurs et les bars-restaurants deviennent de véritables ruches. Le travailleur marocain, le touriste musulman ou les RME transitant par le territoire espagnol sont ainsi astreints à admettre une réalité qui diffère de celle de leur environnement naturel. C'est le dilemme de l'immigration. Enfin, le collectif marocain doit ajuster ses ressources aux exigences d'un marché hautement cher par rapport à celui du Maroc. Les tomates se vendent quatre fois plus cher alors que la coriandre est quasi introuvable chez les vendeurs de légumes. C'est grosso modo l'environnement où évolue le Marocain attaché à ses valeurs culturelles. Fort de ses convictions de bon musulman, il maîtrise ses sautes d'humeur, respecte les us de la société d'accueil et fréquente avec assiduité les lieux de culte, surtout lors des prières. Ni la soif ni le prolongement de la journée à cause d'un décalage horaire de deux heures (18 heures de jeûne) ne sont alors un obstacle pour assumer pleinement son devoir de bon croyant. Le ftour s'annonce vers 21 heures 30. Faute de mosquées construites et gérées par des marocains, il recourt le plus souvent aux lieux de prière, une sorte de mosquées de fortune aménagées dans un hangar, garage ou une simple résidence. C'est une grande contradiction que vit la Oumma en Espagne au moment où des collectifs moins nombreux, tels le Saoudien et le Syrien disposent d'institutions religieuses entièrement équipées de mosquées, de services sociaux et culturels. C'est une revendication historique de la communauté marocaine, par exemple, de Madrid qui est amenée à célébrer la pluspart de ses rites et prières dans les mosquées appartenant à d'autres communautés musulmanes. Certaines associations érigées en cercle de réunion des fidèles marocains se chargent vaillamment d'organiser des ftours collectifs, de rencontres culturelles ou d'attention aux plus nécessiteux. Elles souffrent atrocement de moyens et de savoir-faire pour venir en aide à une grande communauté fortement affectée par la crise économique et l'hostilité du marché du travail. C'est la raison pour laquelle certaines ONG laïques ou proches de l'église entrent en jeu et incorporent dans leur agenda des activités et services destinés à la communauté musulmane pendant le mois de ramadan. Ce sont des ONG bien structurées qui sont fortes de leur longue expérience dans le monde associatif, s'appuient sur des programmes sociaux financés par les autorités publiques ou entités bancaires et sont bien encadrées par des experts en matière d'attention à l'immigré. Le Marocain est finalement un fidèle patient qui a appris à s'adapter à toutes les circonstances pour s'intégrer dans sa société d'accueil et surtout survivre dans un environnement qui appréhende avec résignation comment le culturalisme commence à influer sur son comportement.