Dans une analyse de la réforme de la Constitution du Maroc diffusée mardi par le Real Institut Elcano (Madrid) dans son édition électronique, l'universitaire espagnol Bernabé Lopez García, professeur à l'université autonome de Madrid, a critiqué les partis politiques marocains en remarquant qu'ils avaient été “complaisants et que leurs demandes furent même en deçà de ce que la Constitution a consacré». Ceux-ci, écrit-il, manquent de projets et ont été «incapables» d'offrir une alternative aux programmes proposés par le roi. Peut-être la pression de la rue, l'éventuelle consolidation du Mouvement 20 Février serviront d'appui pour donner une impulsion à la vie politique. «A une autre époque, en 1992, l'opposition alors forte, avait dit «non» á la constitution et quatre ans plus tard, Hassan II fut obligé de la changer», rappelle Lopez Garcia. Selon l'universitaire espagnol, la nouvelle Constitution du Maroc apporte une nouveauté par rapport aux précédentes laquelle aura des conséquences directes sur la vie politique espagnole dans la mesure où l'article 30 accordera le droit de vote aux élections municipales aux résidents étrangers. En appliquant le principe de réciprocité, les marocains âgés de plus de 18 ans qui résident en Espagne pourront à l'avenir voter. «Si ceci s'était produit avant le 22 mai dernier (lors des élections municipales et régionales en Espagne), les résultats des urnes auraient changé grâce à la participation d'au moins 500.000 potentiels électeurs» marocains, soutient-il. Actuellement, plus de 770.000 marocains en situation régulière sont recensés en Espagne. Cent jours après avoir prononcé son discours, le 9 mars dernier, dans lequel il avait promis de profondes réformes constitutionnelles, le roi Mohamed VI a présenté en détail, dans son discours de vendredi dernier, les lignes maîtresses du projet de la nouvelle Constitution, retient l'universitaire, un fin connaisseur du Maroc et auteur de nombreux ouvrages sur son système politique. Une commission d'experts, désignée par le souverain, s'est réunie, durant cette période, avec les partis, les syndicats et les associations intéressées de la société civile en vue de connaître leurs expectatives et points de vue, rappelle Lopez Garcia. «Cette méthode d'élaboration de la Constitution, bien qu'elle paraisse transparente que celle adoptée dans de précédentes occasions dans la rédaction des cinq antérieures Constitutions, a eu des critiques de la part du mouvement 20 Février - qui aspire à une Assemblée constituante - et grâce à la pression dans la rue dans tout le royaume qu'a été initié ce processus réformateur», estime l'universitaire. Toutefois, observe-t-il, depuis que le président de la Commission des Experts eut remis au souverain, le 10 juin le texte du projet, «avaient circulé des rumeurs et versions contradictoires en rapport avec la nouvelle Constitution, créant une polémique centrée sur des thèmes identitaires et de dimension religieuse». Celle-ci, poursuit l'universitaire espagnol, a été provoquée surtout par le Parti de la Justice et du Développement (PJD) qui « n'acceptait pas que l'Etat, bien qu'il soit défini comme Etat musulman au préambule, garantirait la liberté de la pratique religieuse. Des ultimes démarches menées à la dernière heure, paraît-il, trois heures avant le discours royal, ont permis de conserver la vieille rédaction du texte de 1996 qui dit que l'Islam est la religion de l'Etat, qui garantit à tous le libre exercice du culte ». Le PJD avait, en outre, « menacé de demander de voter non au cas où aurait été mentionnée la garantie de la liberté de la pratique religieuse », indique l'universitaire espagnol. Parmi les “diverses déclarations de principe qui insistent sur la tolérance, la modération et l'ouverture à l'extérieur, a été introduite une des recommandations de l'Instance Equité et Réconciliation, jamais prise en compte, à savoir la primauté de la législation internationale souscrite par le Maroc sur la loi interne du pays». En fin de compte, le texte de la Constitution va comporter 180 articles au lieu de 108, observe Lopez Garcia signalant le grand nombre de commissions qui vont se constituer, dont certaines existent déjà dans les précédentes Constitutions. Toutefois, la création d'un Conseil de la Jeunesse et de l'Action Sociale sera «une porte ouverte pour la cooptation des élites qui se sont distinguées pour leur valeur critique», estime-t-il. En réponse à la revendication d'une monarchie parlementaire par le Mouvement 20-Février, l'article 1 de la Constitution définit le Maroc comme « une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale » en ajoutant le terme « parlementaire » au texte de 1996, observe Lopez Bernabé. Cependant, poursuit-il, «le roi conserve le rôle d'axe central de tout le texte bien qu'il perde le caractère «sacré» que lui attribuait l'article 23 mais il est toujours défini comme Amir al Mouminine, la plus haute autorité qui préside le Conseil Supérieur des Oulémas qui est dotée de la capacité de promulguer des fatwas et comme l'élément clé du pouvoir exécutif». Dans le nouveau texte, le souverain maintient ses prérogatives de présider le Conseil des Ministres, bien qu'il puisse déléguer cette fonction avec un ordre du jour au Président du Gouvernement. «La nouveauté consiste de séparer le Conseil des Ministres du Conseil de Gouvernement, une institution qui existe dans la pratique pour gérer les affaires courantes mais sans pouvoir de prendre d'importantes décisions», observe l'universitaire espagnol, un spécialiste des études arabes et islamiques. Dans le texte de 2011, cette institution sera autonome et pourra communiquer des projets de loi au Parlement et nommer de hauts fonctionnaires. Cependant, la nomination de cette catégorie de fonctionnaires sera désormais faite à partir du Conseil des Ministres, ce qui « implique l'approbation du souverain qui le préside ». « C'est seulement dans la pratique que la séparation des tâches de l'exécutif servira pour consolider la figure d'un Chef de gouvernement doté d'un contrôle effectif (ou presque) sur la vie politique », estime Garcia Lopez. De même, le Titre II consacre l'indépendance de la justice mais le roi, qui préside le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, à la faculté de nommer quatre des membres de cette institution. S'agissant de la régionalisation, poursuit l'universitaire, la Constitution de 2011 “attribue de larges pouvoirs aux walis, ce qui diminue ou annule le pouvoir des présidents des régions, désormais absents du texte, qui interdit expressément la constitution de partis régionalistes ainsi que ceux à caractère ethnique ou religieux».