Selon une récente étude française, plus de 80 % des femmes ont eu au moins une prescription médicamenteuse pendant leur grossesse. Les traitements peuvent avoir des effets tardifs chez les enfants dont les mères se sont automédicamentées quand elles étaient enceintes. Ces chiffres inquiètent les spécialistes de la périnatalité, même s'ils sont convaincus de la nécessité de donner des médicaments en cas de maladie grave. Explications avec le docteur Danièle Evain-Brion, pédiatre, chercheur à l'Inserm et directrice de la fondation de coopération scientifique sur la grossesse et la prématurité. Les femmes enceintes doivent elles éviter de traiter seules leurs petits problèmes de santé quotidiens ? Absolument, il faut éviter toute automédication pendant ces neuf mois. Ce n'est pas parce que de très nombreux médicaments sont en vente libre qu'ils sont sans danger. Il en est de même pour les plantes, les vitamines et les compléments alimentaires. On a vu des cas de convulsion ou de troubles métaboliques chez l'enfant à la naissance liés à ces substances. Il faut qu'elles puissent bénéficier - sans risque - des traitements les plus nouveaux et les plus efficaces. Nous manquons de données scientifiques dans ce domaine. Globalement, il existe des médicaments susceptibles de provoquer une malformation chez l'embryon pendant les trois premiers mois, lors de la mise en place des organes. Mais on sait aussi que, pendant la vie foetale, donc au cours des six mois qui suivent, ainsi que pendant les premiers jours de vie, les gènes sont malléables, sensibles à l'environnement, et que leur fonctionnement peut être modifié à long terme. C'est d'ailleurs sans doute pendant la période périnatale que se mettent en place un certain nombre de maladies chroniques de l'adulte, comme le diabète de type 2, l'asthme, voire certaines affections psychiatriques. Les femmes souffrant de maladies chroniques ont-elles intérêt à consulter avant de concevoir un enfant ? Oui, une femme qui souffre d'asthme, d'épilepsie ou d'une infection chronique doit parler avec son médecin quand elle désire concevoir un enfant, pour que le traitement soit adapté, car le métabolisme de certains médicaments peut changer pendant la grossesse. C'est, par exemple, le cas des traitements de l'épilepsie. Il faut suivre au long terme tous les enfants dont la mère a reçu un traitement. Le drame du distilbène montre bien que les problèmes peuvent survenir bien plus tard et que la physiologie de la femme n'est pas celle de l'animal de laboratoire. Nous avons des éléments à donner à l'industrie provenant de notre très bonne connaissance du placenta humain. Reste à mettre en place des registres de suivi des enfants qui ont été exposés pendant la période périnatale à un médicament ou à un autre pour limiter au maximum les risques liés aux traitements maternels. Qu'en est-il des malades atteintes du sida ? Si elles sont correctement traitées et si elles accouchent dans de bonnes conditions, elles mettront au monde des enfants qui ne seront pas porteurs du VIH. Malheureusement, de plus en plus de cancers du sein s'invitent pendant la grossesse, car l'âge moyen des futures mamans augmente. Il faut alors impérativement les traiter, mais en sachant qu'il y a trois protagonistes engagés dans cette “aventure” : la patiente, le fœtus et le placenta, organe qui a un rôle fondamental. C'est un filtre plus ou moins sélectif vis-à-vis des médicaments qu'il métabolise (il les assimile et les transforme). Fort heureusement, la médecine dispose de molécules efficaces et sans effet négatif immédiat pour le fœtus.