L'Espagne est souvent citée, au club des pays les plus avancés, comme un mauvais élève en matière de lutte contre la corruption. C'est le phénomène le plus nocif qui touche la plupart des régions autonomes, les mairies et conseils municipaux. L'enrichissement illicite et rapide a accompagné le boom immobilier mais les tentacules de la corruption s'élargissent jusqu'aux entrailles des partis politiques. Administration publique et partis politiques sont, en fin de compte, devenus un filon pour les arrivistes, les politiques parasites et les pistonnés qui pullulent impunément dans l'administration publique, la diplomatie et les institutions de l'Etat (centres de recherche, hautes écoles, ONG financées à base de projets commandités par les gouvernements régionaux, fondations, œuvres sociales de personnel administratif, etc.) A l'approche des élections régionales et municipales, en mai prochain, les organisations politiques lancent des messages d'apaisement, campagnes de sensibilisation à la lutte contre les mauvaises conduites de politiques, et la dénonciation des cas de corruption y compris ceux où sont impliqués leurs propres militants. Déjà les socialistes ont inclus dans leur programme-cadre, une série de mesures qu'ils compteront adopter aux municipalités qui seront dirigées par ses militants en cas de leur triomphe au scrutin du 22 mai prochain. Ils optent ainsi pour le slogan de «tolérance zéro» contre la corruption et durcir le pacte anti-transhumance. Ce programme sera adopté, le 2 avril prochain, par le Comité Fédéral du Parti Socialiste Ouvrier espagnol (PSOE: au pouvoir) sous la rubrique «Emploi, transparence et bonne gouvernance». L'engagement est ferme et clair pour une «tolérance zéro» à l'égard des responsables de l'administration et de leurs membres de famille pour les pratiques qui supposent l'enrichissement patrimonial injuste. Face au traitement de faveur, des actions « immédiates, agiles et fermes» seront engagées lorsqu'il s'agit de cas de corruption. Des mesures coercitives seront prévues à chaque phase du processus de poursuite des corrupteurs et corrompus. Etablir la différence entre responsabilités politiques et pénales sera la règle dans chaque procédure à suivre. S'agissant du volet de «bonne gouvernance» et le combat contre les «corrompus», les socialistes plaident pour l'instauration de contrôles sur les engagements acquis et moyens pour éviter toute sorte d'abus de pouvoir ou épisode de corruption. La transparence et la publicité dans la gestion seront la consigne appliquée pour que les citoyens participent à l'activité des pouvoirs publics et défendent l'efficacité comme objectif de l'action politique municipale. Le projet de programme socialiste répond à une nécessité impérieuse en Espagne, pays où la corruption représente un grave problème qui mine la popularité des partis politiques, ce qui se traduit finalement par la perte de confiance des investisseurs étrangers. Cette conclusion a été atteinte sur la base de réflexions d'analystes de l'opinion publique et d'entrepreneurs espagnols, dans l'Indice de Perception de la Corruption 2008 de Transparency international. Cet indice, qui est un instrument qui mesure le niveau de corruption constaté dans les comportements des fonctionnaires et politiques de 180 Etats, a été largement commenté en Espagne. La publication par les médias d'informations sur les scandales de corruption dans lesquels sont impliqués maires, juges et gardes civils démontrent que ce fléau existe réellement et qu'il a émergé sur la scène publique grâce à une plus grande exigence légale particulièrement dans les opérations urbanistiques. Désormais, la nouvelle norme anti-corruption traite du réaménagement du territoire, des conflits d'intérêt des hauts cadres ou du financement des partis politiques. De manière que les citoyens sont en mesure de réclamer de plus en plus d'informations sur la gestion de la chose publique et de persécuter les corrompus. A titre d'exemple, 190 sentences ont été prononcées, en 2007, pour des délits contre le réaménagement du territoire, contre 141 en 2006. En 2008, ont été intentés 1.096 autres procès pour abus urbanistiques. Le gouvernement central espagnol est, à ce titre, le responsable de l'éradication des pratiques de corruption au niveau municipal, puisque chaque point dans l'Indice de Perception de la Corruption de Transparency international se traduit par la perte de 0,5 point du Produit Intérieur Brut (PIB) alors que le pays a un pressant besoin d'investissements étrangers pour générer de l'emploi et réduire le taux de chômage qui affecte 20,3% de la population active. Il est pertinent de s'interroger sur le foisonnement des cas de corruption en Espagne, une monarchie parlementaire qui fait partie de l'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE). La principale cause des scandales de corruption a un lien avec le haut chiffre de cadres, nommés pour des considérations politiques, aux institutions nationales (gouvernement central), autonomes (gouvernements régionaux) ou locales (municipalités), observe Víctor Lapuente Giné, un professeur espagnol des Sciences Politiques à l'Université suédoise de Göteborg. Selon la littérature moderne sur la corruption, observe ce politologue dans une analyse, parue au quotidien El Pais, il est inutile de chercher les causes dans « une mauvaise culture » ou dans une régulation inefficiente. Celles-ci se trouvent dans la « politisation des institutions publiques ». Les administrations les plus sujettes à la corruption sont celles qui comptent un grand nombre d'employés publics désignés pour des raisons politiques. C'est là où le contraste est significatif entre l'Espagne et les pays européens ayant des niveaux de corruption plus bas. Dans une ville européenne de 100.000 à 500.000 habitants, il peut y avoir dans une entité publique, de deux à trois personnes avec un salaire, y compris le maire, qui dépendent du parti qui avait gagné les élections. En Espagne, par contre, le parti qui contrôle un gouvernement régional ou un conseil municipal peut nommer une multitude de hauts cadres et conseillers. En même temps, celui-ci crée un réseau d'agences et de fondations dotées de pleine discrétion en politique de personnel. Au total, il peut y avoir dans une ville moyenne espagnole, des centaines de personnes qui sont devenus salariés d'une institution publique pour la simple raison d'être des militantes du parti qui avait gagné les élections. Cette situation génère, en principe, divers avantages pervers pour la corruption. Les employés issus de partis politiques, dont l'horizon professionnel est limité par l'incertitude des futures élections, sont plus disposés que les fonctionnaires statutaires à accepter ou à solliciter des pots-de-vin, pourboires ou bakchich en échange de traitement de faveur. Dans un deuxième lieu, dans la majorité des pays du monde occidental, les hommes politiques locaux sont obligés de partager la prise de décisions avec des fonctionnaires statutaires qui seraient toujours prêts à dénoncer tout indice de traitement de faveur. En Espagne, par contre, toute la chaîne de décision d'une politique publique est entre les mains de personnes qui partagent un objectif commun qui n'est autre que celui de gagner les élections. Ceci conduit finalement à une facilité plus grande de tolérance de comportements illicites. Comme il y a énormément d'intérêts en jeu aux élections, les tentations d'attribuer des traitements de faveur à des entrepreneurs en échange du financement illégal de leur parti politique sont également élevées. Vendredi dernier, l'ex-président du gouvernement régional des Baléares, également ex-ministre de José Maria Aznar et ex-dirigeant du Parti Populaire, Jaume Matas, a été inculpé de plusieurs délits en relation avec la malversation de fonds publics, fraude administrative et corruption. Il est passible, selon l'acte d'accusation établi par le ministère public anticorruption, d'une peine de prison de 23 ans et d'inhabilité. Il a été démontré, dans un des délits pour lesquels il est poursuivi, qu'il avait engagé de manière irrégulière un journaliste, lequel avait empoché plus de 480.000 euros (1 euro: 11,5 DH) qui provenaient du trésor public. Le journaliste a été également mis en cause pour agir sans révéler publiquement son identité en créant «un climat d'opinion favorable», élaborant des discours pour l'ex-président régional et «mettant en valeur son activité politiqu » en contrepartie de subventions publiques. Cet exemple illustre une longue série de cas de corruption qui meublent chaque jour les débats radiophoniques, les colonnes de la presse et les sessions aux parlements. Les plus célèbres ont pour acteurs des hommes politiques et de grands entrepreneurs. Le PSOE avait payé un prix politique très élevé, au début des années 90, pour l'implication de certains de ses militants dans un scandale de pots-de-vin, dénommé «Cas Filesa». Cette affaire a été une des causes qui avaient précipité le départ des socialistes du pouvoir et provoqué leur défaite aux élections de 1996. Actuellement, le Parti Populaire (opposition majoritaire de droite) est confronté à un scandale similaire, qui avait éclaté en 2009, dans lequel plusieurs de ses cadres sont accusés d'avoir créé un soi-disant conglomérat d'affaires dont l'objectif est de s'enrichir à base de fonds d'entités publiques, opérations urbanistiques et contrats passés avec des municipalités à Madrid, Valence (Est) et Galice (Nord-Ouest). Dans l'élaboration de la carte de la corruption en Espagne, la quasi-totalité des municipalités dans les différentes régions autonomes sont à la merci de politiques corrompus, pourris et véreux.