Edgar Morin, de son vrai nom Edgar Nahoum, né à Paris le 8 juillet 1921 (1921-07-08) (89 ans), est un sociologue et philosophe français. Il inaugure le programme culturel de la 17ème édition du Salon du livre et de l'édition qui se tiendra du 11 au 20 février à Casablanca. Faire la synthèse de l'ensemble des connaissances. Cette tâche, reposant sur le besoin d'unité de l'esprit humain, allait de soi dans l'antiquité, elle était encore possible à la Renaissance; depuis plus de deux siècles, elle est impossible en raison notamment de la multiplication des savoirs spécialisés. Trop de gens en ont toutefois conclu que ladite tâche, parce qu'elle est impossible, a cessé d'être nécessaire. Edgar Morin n'est pas tombé dans ce piège. Il a compris au contraire que l'éclatement du savoir rend l'effort de synthèse encore plus impérieux. Cela le mit dans l'obligation de tenter l'impossible. Là se trouve l'étincelle initiale et le sens de son œuvre. Au milieu du XXe siècle, pour remédier au même mal, C.P.Snow, écrivain et physicien anglais, proposa l'idéal de troisième culture, synthèse de la culture scientifique et de la culture littéraire. Son message n'eut guère d'écho sauf peut-être dans les hauts lieux du savoir californien où se forma autour de l'idée de troisième culture le club des digerati. Edgar Morin ira beaucoup plus loin: jusqu'à l'abolition des frontières entre les disciplines. Face aux contraintes artificielles dans la connaissance, il fera preuve d'une liberté rappelant celle de Goethe, lequel s'adonna à la géologie, la botanique, la physique, la littérature. Il est vrai que l'ère de la spécialisation s'ouvrait à peine à ce moment. Elle atteignait son sommet quand Edgar Morin est entré en scène. On peut dire de ce cavalier français qu'il partit d'un aussi bon pas que Descartes, mais dans la direction opposée : vers le plus complexe plutôt que vers le plus simple. Quand on parcourt sa bibliographie complète on a vraiment le sentiment que rien de ce qui est humain ne lui est étranger. L'un de ses premiers livres porte sur la mort, mais il s'est aussi intéressé au sport, aux vedettes de cinéma, à la l'histoire, à la sociologie, cela va de soi, à la physique, à la biologie, à la philosophie des sciences. Premier exploit, il a échappé au discrédit auquel il s'exposait auprès des hiérarchies universitaires. Le sociologue Edgar Morin a très tôt reconquis pour son propre compte la liberté qui avait été celle du commun des savants jusqu'au XIXe siècle. Il faut savoir gré au Centre national de recherche scientifique, son employeur, de lui avoir permis d'exercer cette liberté. Second exploit: il transforma si bien son handicap en avantage qu'il brisa les frontières entre les cultures après avoir brisé les frontières entre les disciplines. On l'appelle en espagnol El pensador planetario. Précisons ici que son rayonnement a été plus grand dans la latinité que dans le monde anglo-saxon. C'est la conclusion qu'on peut tirer d'un survol de sa bibliographie et des résultats de recherche sur Google: 297 000 en français, 164 000 en espagnol, 89 000 en portugais 10 000 en allemand. Troisième exploit: il a su évoquer le sacré, en rappeler l'importance, sans qu'on lui reproche à l'excès de trahir une laïcité équivalant à un droit de cité. Quatrième exploit: il a survécu à ce qu'on pourrait appeler l'égarement des niveaux de langage. Il voulut à ce point éviter les mots simplificateurs d'une réalité complexe qu'il créa son propre jargon paradigmologique. On le lui pardonna, mais il sut aussi parler à tout le monde comme dans les Sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur. On le lui pardonna également. Parce qu'on savait qu'au fond il avait raison de vouloir freiner cette machine scientifique et industrielle tirant toute sa force d'un réductionnisme doublé d'un oubli de la complexité. Les minéraux présents dans le sol favorisent la croissance des plantes. Soit! Ajoutons donc des minéraux! On le fera au point de détruire l'humus, la partie vivante du sol. On nourrira ainsi plus de monde pendant quelques décennies. Mais à quel prix social dans l'immédiat et à quel prix agricole dans l'avenir? Les chimistes qui sont à l'origine de l'agriculture industrielle étaient cartésiens: ils allaient au plus simple et ils intervenaient selon la même logique, chose qui leur était facilitée par le fait que le plus simple était aussi le plus pressé. Les exploiteurs des énergies fossiles: charbon, pétrole, gaz ont suivi l'exemple des chimistes du sol avec les conséquences que l'on commence à vivre. Chassez la complexité et elle revient sur ses mille pattes, pour vous hanter. Tenir compte du plus complexe comme le veut Morin suppose qu'on ait le sens du plus lointain, dans l'espace et dans le temps. Il a lui-même ce sens. Ses études en histoire et en anthropologie le lui ont donné. Mais comment le communiquer aux empressés que nous sommes tous devenus? L'esprit du temps, qu'il a bien étudié, servira peut-être sa cause: la vitesse est en perte de vitesse en ce moment. À l'heure de la mondialisation par le capital abstrait et donc inhumain, ponctué de crises financières et écologiques sur fond de corruption, l'humanité a besoin de prophètes, aux accents à la fois orientaux et occidentaux. Edgar Morin est l'un d'eux. Les prophètes ont souvent déclenché, dans le passé récent notamment, des mouvements mythiques, de libération ou de conquête, qui ont eu des effets catastrophiques. Morin n'est pas de cette espèce parce qu'en enseignant la complexité il prépare les esprits au réalisme et au sens de la contradiction, de même qu'au sens de la limite. Il voit venir les effets d'une démesure devenue incontrôlable, il invite ses semblables à prendre les moyens pour éviter le pire. Contre la machine, il défend les paradigmes perdus : la vie et l'humanité. On sait déjà que son prochain livre s'intitulera La Voie. À la lumière du manifeste qu'il a déjà publié sur ce thème, on peut présumer que ce livre sera une invitation à l'action à l'échelle mondiale. http://agora.qc.ca/Dossiers/Edgar_Morin